mercredi 7 avril 2010

Sacre de la femme

Journal parisien : pause.

Celle qui aura quelque chose de plus
que toutes les autres...

Il m'arrive, les soirs où la solitude est un bienfait qui survient après la cohue, de me demander en toute sincérité (du moins dans un effort qui s'y essaie) jusqu'où pourrait aller mon amour. Je sais qu'il peut n'être rien, et qu'il est si mince, parfois, qu'il consiste simplement à faire un bout de chemin, dans le lit ou ailleurs, avec "elle", à scruter sa personnalité, à en saisir un aspect, un seul, le meilleur ou le pire, puis à repartir d'un pas lourd. "Elle" n'était pas, comment dire? pas... adorable.
D'autre fois, il s'égale à un Tout, à un presque tout. Car quand la femme est extraordinaire, le choc l'est aussi. L'Absolu est en vue, il est le fond du fond, le haut du haut, l'immédiatement-là, le Grand Tangible. C'est alors que j'ai le vertige et non n'importe lequel. Que j'ai le sentiment (illusoire? Mais comment savoir?) que la Mort et la Femme en même temps m'enjôlent, confondues. Il me semble bien qu'avec la seconde je pourrais gravir toutes les marches du péril, tandis que la première me tend les bras sur l'ultime degré. Pire, j'ai le sentiment que je cesserais d'écrire, si d'aventure l'élue m'en priait.
[...]
Celle qui aura quelque chose de plus que toutes les autres qui elles-mêmes me semblaient si douées, ce sera peut-être une Parque moderne, une figuration de l'orgasme éternel en son parfum tragique. Je n'en vois guère le visage, et pourtant je sais qu'il suffit de l'avoir tenu entre ses mains et élevé vers l'Amour pour se sentir glisser doucement dans un monde d'où l'on ne revient plus.

Marcel Moreau, Sacre de la femme (p. 536-538), éditions Denoël, collection des heures durant...