jeudi 29 avril 2010

La jeune veuve

Ce soir en parcourant mon Journal manuscrit, à la date du 1er novembre 2007, je lis cette fable de La Fontaine :

LA JEUNE VEUVE.
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La perte d'un époux ne va point sans soupirs,
On fait beaucoup de bruit ; et puis on se console :
Sur les ailes du Temps la tristesse s'envole,
Le Temps ramène les plaisirs.
Entre la veuve d'une année
Et la veuve d'une journée
La différence est grande ; on ne croirait jamais
Que ce fût la même personne :
L'une fait fuir les gens, et l'autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne ;
C'est toujours même note et pareil entretien ;
On dit qu'on est inconsolable ;
On le dit, mais il n'en est rien,
Comme on verra par cette fable,
Ou plutôt par la vérité.
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L'époux d'une jeune beauté
Partait pour l'autre monde. A ses côtés, sa femme
Lui criait : ' Attends-moi, je te suis ; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s'envoler. '
Le mari fait seul le voyage.
La belle avait un père, homme prudent et sage ;
Il laissa le torrent couler.
A la fin, pour la consoler :
' Ma fille, luit dit-il, c'est trop verser de larmes :
Qu'a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu'il est des vivants, ne songez plus aux morts.
Je ne dis pas que tout à l'heure
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports ;
Mais, après certain temps, souffrez qu'on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le défunt. - Ah ! dit-elle aussitôt,
Un cloître est l'époux qu'il me faut. '
Le père lui laissa digérer sa disgrâce.
Un mois de la sorte se passe ;
L'autre mois, on l'emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l'habit, au linge, à la coiffure :
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d'autres atours ;
Toute la bande des amours
Revient au colombier ; les jeux, les ris, la danse,
Ont aussi leur tour à la fin :
On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de Jouvence.
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Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Mais comme il ne parlait de rien à notre belle :
' Où donc est le jeune mari
Que vous m'avez promis ? ' dit-elle.


Je fus une jeune veuve, il y a déjà... 24 ans! Je n'ai jamais supporté ce mot. Faire une croix dans une case pour dire sa situation familiale passe encore mais répondre à la question : êtes-vous mariée et devoir répondre de vive voix, non je suis veuve, je n'ai jamais pu, alors je répondais : non, je vis seule. Aussi quand je vois que mes très jeunes, folles et adorables petites amies parisiennes mettent dans leur profil de Face Book - pour plaisanter - qu'elles sont veuves, j'éclate de rire parce que ce mot-là - elles ont raison - on ne devrait le prononcer qu'avec humour. En vrai, il faut juste un peu de temps... le temps de passer de la survie à la vie.