jeudi 10 octobre 2013

Journal

 Photo, 2010

Hier ils sont venus me voir en sortant de la consultation. Elle avait souhaité qu'il l'accompagne. Je leur avais proposé de venir prendre un café. Je voulais savoir comment s'était passé l'entretien. J'espérais qu'elle allait mieux que dans les mails et les textos qu'elle m'envoyait.
Il la précédait dans l'escalier et il m'a fait une grimace pour que je comprenne que ça n'allait pas. J'ai immédiatement eu une douleur à l'estomac (au plexus?). Elle avait les yeux et les joues rouges. Je ne pouvais pas lui dire : comment ça va? Je n'ai rien dit. Elle s'est mise à pleurer - elle qui ne pleure jamais -, il m'a regardé en me disant : on passe à la phase 2. Je l'ai serrée dans mes bras, je lui ai dit que tout allait bien se passer, que les médicaments allaient l'aider à "lâcher prise" (je n'aime pas cette expression qu'elle utilise souvent).
Elle a tenté l'impossible : sortir la tête de l'eau toute seule. Il lui fallait une bouée de sauvetage depuis déjà longtemps.
Puis nous avons pris le café avec un gâteau breton. C'était très dur, très lourd, j'essayai de détendre l'atmosphère. Elle a parlé un peu, très peu : "tout le monde me dit que je ris plus. Je peux pas." Qui te dit ça mon Bézo? - XXX me dit-elle. Et XXX me regarde en riant, mais son regard est désarmé. Alors nous rions tous les deux, lui non plus ne sait plus que faire, que dire pour faire baisser la tension. Pour le moment elle éprouve encore le besoin de parler, heureusement, l'écoute doit être attentive, patiente, ce n'est pas facile. Il est doux avec elle, c'est un ange. Burn-out! Oui, c'est ce dont elle est victime. Burn-out burn-out burn-out. J'ai la tête qui tourne après leur départ. Il m'envoie un texto pour me remercier pour le café. Me remercier? C'est moi qui le remercie d'être là; je lui réponds et lui dis que je suis là, aussi, pour lui, pour quand ça deviendrait trop difficile. Il ne faudrait pas qu'il craque, ça ne va pas fort pour lui non plus dans son job, de plus en plus de pression.

Hier soir il y avait un téléfilm sur ce sujet. Je ne l'ai pas regardé mais j'ai suivi le débat sur le burn-out avec les témoignages. Puis j'ai éteint la télévision. Puis j'ai lu pour me détendre. Puis j'ai envoyé un mail. Puis je me suis couchée. J'ai éteint.

BURN-OUT BURN-OUT BURN-OUT BURN-OUT BURN-OUT BURN-OUT BURN-OUT...
Je ne parvenais pas à m'endormir. J'entendais un bruit sourd, comme un moteur qui continue de tourner. Je me lève, il est 1 h 15. Dans le séjour pas un bruit, pas de frigo qui vibre, rien. Je me recouche, je suis très éveillée. J'entends toujours le bourdonnement, d'habitude mes acouphènes sifflent, ne bourdonnent pas.
BURN-OUT BURN-OUT BURN-OUT BURN-OUT BURN-OUT BURN-OUT BURN-OUT... Je mets des boules Quiès que j'enfonce au maximum. Ça bourdonne toujours.... Je ne dors pas. 2 h : je me lève, je prends un Doliprane (je refuse de prendre des somnifères, je les garde... en réserve...).  Je repense à ce que disait la DRH ou la psychologue - je ne sais plus, je cafouille moi aussi - dans ce débat : "quand ils viennent me voir certains pensent au suicide parce que les somnifères ne suffisent plus pour qu'ils retrouvent le sommeil, alors ils pensent au sommeil définitif." Ce n'était pas dit comme cela mais le sens y est. J'ai peur. Je suis inquiète.
J'ai dû m'endormir une demi-heure plus tard. Réveillée à 7 h 58 avec les marteaux-piqueurs. Ces ouvriers exposés durant des heures à ce bruit infernal ne font pas de burn-out mais souffrent sûrement d'autres maux?

Le travail est de plus en plus aliénant.

9 heures.
Je lis un mail reçu ce matin. Magnifique. Je souris.
Je termine mon petit déj. Le soleil caresse les pierres de l’abbatiale. J'ouvre la fenêtre, l'air est vif.  Je me sens un peu moins triste. Très peu.