jeudi 17 octobre 2013

De, la négation positive




 Emil M. Cioran. Crédit photo : inconnu.

Une semaine sur Les vertus du non dans les NCC

Quelques réflexions de Cioran : le non comme affirmation!

"Le non est la seule manière de rester en vie, puisqu’il est le seul moyen de rester infidèle à soi."

« Les choses auxquelles vous croyez, à partir du moment où vous les avez dites, elles comptent moins pour vous ».

(On entend Cioran parler dans l'émission avec un accent roumain très prononcé; j'ai tenté une retranscription).

"J’écris sur le suicide, c’est un sujet qui me hantait, j’y pensais tout le temps. A partir du moment où j’écris ce sujet, j’y pensais beaucoup moins. En ce sens, écrire est une profanation. Vous tuez le sujet. Pour n’importe quel sujet. Tous les sujets que j’ai pu aborder dans ma vie, du fait que j’en ai parlé, je les ai – en moi – tués. »

Cioran: extrait entretien pour la télévision belge ( 1973)



L’écriture est une thérapeutique. L’écriture va mettre à distance cette idée du suicide. « Sans l’écriture je me serais tué depuis longtemps ». L'idée du suicide lui suffit pour se sentir libre. La possibilité de pouvoir quitter ce monde à tout instant le libère.

« J’ai injurié la vie et je me suis injurié, résultat j’ai mieux supporté la vie et je me suis mieux supporté moi-même. »

C’est le paradoxe de la négation vivifiante. Pour Cioran « penser contre soi-même » est un ultimatum à la vie. « J’ai nié la vie et finalement je vis. Je suis un escroc du gouffre. » Penser contre soi est une manière de ne jamais être certain, d’où l’utilité de la négation qui insuffle un dynamisme à l’existence.



« A vingt j’ai perdu le sommeil et je considère que c’est le plus grand drame qui puisse arriver dans une existence. […] Les nuits sont les moments les plus extraordinaires de ma vie.  Je sortais vers minuit/une heure et je me promenais dans les rues ; il n’y avait que quelques putains et moi. Dans une ville où le silence est total, en province et pendant des heures je me promenais dans les rues comme une sorte de fantôme. Tout ce que j’ai pensé, écrit, a été élaboré pendant ces nuits. C’est à ce moment-là que j’ai écrit mon premier livre  en roumain qui s’appelait Sur les cimes du désespoir, que j’ai écrit à vingt-deux ans et qui était une sorte de testament. Je pensais que après j’allais me suicider. Mais, j’ai survécu pour une raison très précise, c’est que je n’avais pas à pratiquer un métier ; parce que je ne pouvais pas. Comme je ne dormais pas la nuit, comme je me promenais dans ma ville, j’étais bon à rien dans la journée n’est-ce pas, je ne pouvais pas pratiquer un métier, je ne pouvais pas être professeur. »

Cioran sur l'insomnie (archive INA, entretien enregistré en 1989)


« Lorsque tu vins, Insomnie, secouer ma chair et mon orgueil, toi qui changes la brute juvénile, en nuances les instincts, en attises les rêves, toi qui, en une seule nuit, dispenses plus de savoir que les jours conclus dans le repos, et, à des paupières endolories, te découvres événement plus important que les maladies sans nom ou les désastres du temps ! Tu me fis entendre le ronflement de la santé, les humains plongés dans l’oubli sonore, tandis que ma solitude englobait le noir d’alentour et devenait plus vaste que lui. Tout dormait, tout dormait pour toujours. Plus d’aube : je veillerai ainsi jusqu’à la fin des âges : on m’attendra alors pour me demander compte de l’espace blanc de mes songes… Chaque nuit était pareille aux autres, chaque nuit était éternelle. Et je me sentais solidaire de tous ceux qui ne peuvent dormir, de tous ces frères inconnus. Comme les vicieux et les fanatiques, j’avais un secret ; comme eux, j’eusse constitué un clan, à qui tout excuser, tout donner, tout sacrifier : le clan des sans-sommeil. J’accordais du génie au premier venu dont les paupières fussent lourdes de fatigue, et n’admirais point l’esprit qui pût dormir, fût-il gloire d’État, de l’Art ou des Lettres. J’eusse voué à un culte à un tyran qui – pour se venger de ses nuits – eût défendu le repos, puni l’oubli, légiféré le malheur et la fièvre. Et c’est alors que je fis appel à la philosophie… » 

Emil Cioran, Précis de décomposition.

Des émissions de la semaine sur Les vertus du non, c'est celle sur Cioran qui m'a le plus intéressée. Et pourquoi? Parce que j'ai compris que dans l'idée du suicide l'essentiel résidait dans le mot idée. Qu'il se suffisait pour oublier l'acte.  J'ai aimé aussi l'idée que, d'en parler, permettait d'évacuer l'obsession. Mais ça je le savais, depuis le temps que j'en parle. Il en est de même pour la mort. des sujets qui continuent de m'obséder tout de même mais que j'évacue - un peu (hum!) - en en parlant ici. A vrai dire j'essaie de me convaincre de ce dont je ne suis pas convaincue. Et voilà! Je repars à zéro! Néanmoins Cioran pensait au suicide à 22 ans et il a vécu jusqu'à 84 ans! Ça me laisse encore une bonne marge.