James Salter (88 ans), né le 10 juin 1925 à New-York
"Ils étaient couchés dans le noir comme deux victimes.. Ils n'avaient rien à se donner, ils étaient liés par un amour pur, inexplicable.
Viri dormait, elle le savait même sans le voir. Il dormait comme un enfant, silencieusement, profondément. Ses cheveux clairsemés étaient ébouriffés, il étendait une main douce et molle. S'ils avaient été un autre couple, elle aurait trouvé qu'ils étaient attirants, elle les aurait même aimés - ils étaient si malheureux.
Page 162.
"Dans six ans, elle aurait quarante ans. Elle percevait cette échéance comme un récif blanc au loin - signal du danger. La vieillesse l'effrayait, elle ne l'imaginait que trop facilement. Elle en cherchait tous les jours les signes, d'abord à la lumière crue de la fenêtre, puis tournant légèrement la tête pour atténuer un peu la dureté de cet éclairage, elle reculait de quelques pas en se disant : les gens ne s'approchent jamais autant.
Page 163
"Elle avait étalé les costumes de son père sur le lit. Ils iraient à l'Armée du Salut avec ses chemises, ses chaussures. La terre avait produit un bruit sourd en tombant sur la crypte où il reposait. [...]
[...]
C'était fini. Soudain, elle ressentit comme un présage. Elle était exposée. A présent le champ était libre pour sa propre mort.
Pages 191-192.
"Les deux amies regardaient des verres à vin. Tout ce qui était beau et élégant venait de Belgique ou de France. Retournant les objets, Nedra lut les prix. Trente-huit dollars la douzaine. Quarante-quatre.
"Ceux-ci sont magnifiques, dit Eve.
- Je préfère ceux-là.
- Soixante dollars la douzaine. Qu'en feras-tu?
- On a toujours besoin de verres à vin.
- Tu n'as pas peur de les casser?
- La seule chose qui me fasse peur, ce sont les mots "vie ordinaire".
Page 223.
James Salter, in Un bonheur parfait (titre original Light Years, 1975), éditions de l'Olivier, collection Points, 2008.
Je n'en suis qu'à la moitié du livre. C'est lumineux.