En écoutant hier Raphaël Enthoven dans son émission Le Gai savoir, cette phrase* de Albert Camus dans L'Homme révolté, m'a interpellée. Passer du je singulier au nous collectif. J'ai dû interrompre l'écoute de l'émission... pour observer un vol inouï de mouettes rieuses très bruyantes. (Je farnientais sur ma terrasse, oui c'est l'été indien).
Ce matin j'ai donc cherché l'explication de cette étrangeté que même les "apprentis" philosophes doivent connaître (sauf moi) :
La révolte [3]
Voici le premier
progrès que l'esprit de révolte fait faire à une réflexion d'abord pénétrée de
l'absurdité et de l'apparente stérilité du monde.
Dans l'expérience absurde, la
souffrance est individuelle. À partir d'un mouvement de révolte, elle a
conscience d'être collective, elle est l'aventure de tous. Le premier progrès
d'un esprit saisi d'étrangeté est donc de reconnaître qu'il partage cette
étrangeté avec tous les hommes et que la réalité humaine, dans sa totalité,
souffre de cette distance par rapport à soi et au monde. Le mal qui éprouvait un
seul homme devient peste collective. Dans l'épreuve quotidienne qui est la
nôtre, la révolte joue le même rôle que le cogito dans l'ordre de la
pensée : elle est la première évidence. Mais
cette évidence tire l'individu de
sa solitude. Elle est un lieu commun qui fonde sur tous les hommes la première
valeur. Je me révolte, donc nous sommes.
(Source : Philo5)
"Après avoir lu – et relu – votre Homme révolté j’ai cherché qui
et quelle oeuvre de cet ordre – le plus essentiel – avait pouvoir
d’approcher de vous et d’elle en ce temps ? Personne et aucune oeuvre.
C’est avec un enthousiasme réfléchi que je vous dis cela. Ce n’est
certes pas dans le carré blanc d’une lettre que le volume, les lignes et
l’extraordinaire profonde surface de votre livre peuvent être résumés
et proposés à autrui. D’abord j’ai admiré à quelle hauteur familière
(qui ne vous met pas hors d’atteinte, et en vous faisant solidaire,
vous expose à tous les coups) vous vous êtes placé pour dévider votre
fil de foudre et de bon sens. Quel généreux courage ! quelle puissante
et irréfutable intelligence tout au long ! (Ah ! cher Albert, cette
lecture m’a rajeuni, rafraîchi, raffermi, étendu. Merci.) Votre livre
marque l’entrée dans le combat, dans le grand combat intérieur et
externe aussi des vrais, des seuls arguments – actions valables pour le
bienfait de l’homme, de sa conservation en risque et en mouvement. Vous
n’êtes jamais naïf, vous pesez avec un scrupule. Cette montagne que
vous élevez, édifiez tout à coup, refuge et arsenal à la fois,support
et tremplin d’action et de pensée, nous serons nombreux, croyez-le,
sans possessif exagéré, à en faire notre montagne. Nous ne dirons plus
« Il faut bien vivre puisque... » mais « cela vaut la peine de vivre
parce que... » Vous avez gagné la bataille principale, celle que les
guerriers ne gagnent jamais. Comme c’est magnifique de s’enfoncer dans
la vérité.
Je vous embrasse."
(René Char)
(Lettre empruntée ici)