vendredi 16 août 2013
Il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne (Colette)
Ma chère aimée. Il est minuit et demi. Je suis lavée, et ma malle est défaite. L'hôtel est affreux; antique, des alcôves. Mais on a enlevé les portes d'alcôves et mis des radiateurs, et les gens ont l'air charmants. C'est patriarcal, démodé, tranquille, six francs; il est donc probable que j'y resterai. Je t'écris tout de suite, pour me rapprocher un peu de toi, je viens de donner une dépêche qui partira le matin de bonne heure. La répétition est à 10 heures du matin, on arrête à midi et on reprend à 2 heures. Ça promet! je m'en fiche. J'aime mieux être fatiguée, le temps paraît moins long. Ma chérie!!! Je ne veux plus m'en aller comme ça! Ton faux enfant puni se lamente en dedans. Et je vais acheter une lampe à pétrole demain pour écrire, l'électricité est trop haute.
Dis à Willy, mon amour, deux choses :
1° Que Maurice Boutry m'a payé à dîner à Dijon.
2° Que je suis arrivée au Globe en même temps qu’Émilienne de Serres, la sœur de Louis. Ça lui peindra tout de suite le genre de l'hôtel.
J'ajoute pour toi, mon chéri, que Maurice Boutry est un cousin éloigné de Willy.
Je me couche. Je t'embrasse. Je pense avec une amertume insupportable à notre joli chez-nous, à ta chambre bleu et argent, à ma chambre rose, à la lumière blanche et grise, à ta chère figure, et alors... mais je me retiens.
Je t’aime. Je te suis, jusqu'au fond de moi, profondément reconnaissante de tout ce que tu es pour moi, de tout ce que tu fais pour moi, je t'embrasse de tout mon cœur, mon amour chéri.
Ta Colette.
Je me suis arrêtée pour saigner du nez. Ça ne peut pas me faire de mal.
Colette à Mathilde de Morny, dite Missy.
Décembre 1908.
En décembre 1908, Colette a trente-cinq ans; elle joue Claudine à Paris à la Scala de Lyon.
Extrait de Lettres intimes, éditions Textuel.
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Colette,
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