mardi 1 novembre 2011

Louis Calaferte

"Mystique, anarchique,
Calaferte se voulut d'abord un homme debout"

Je viens de terminer Choses dites, un livre d’entretiens et de choix de textes de, et avec Louis Calaferte.
Comme beaucoup de lecteurs, j’ai découvert – je devrais dire, un ami** m’a fait découvrir (et bien d’autres auteurs : Marcel Moreau, Joë Bousquet, Pierre Michon, Paul Gadenne, André Velter,  la suite serait trop longue) – cet écrivain avec Septentrion. Couverture de l’ouvrage, collection Folio, dans le bandeau de mon blog, à droite : un visage de femme : une peinture de Louis Calaferte. Et quelle découverte ! Bien sûr, j’ai ensuite poursuivi avec son premier récit : Le requiem des innocents qui m'avait moins emballée, puis d’autres ouvrages, achetés ou empruntés à la médiathèque.
« On n’a jamais, je dis bien jamais, écrit quelque chose d’aussi fort, d’aussi cru et violent. Et drôle. Et horrible. Et peut-être prophétique (…) Ne pas avoir lu ou ne pas lire sur-le-champ Septentrion est foncièrement immoral. »
Philippe Sollers (Le Nouvel Observateur).

Mise en garde : le lire avant de l’offrir, pour ne pas commettre d’impair. On ne ressort pas indemne de sa lecture.

Celui que je viens de terminer donc, Choses dites, ce sont des Entretiens qui avaient été diffusés par France Culture, en 1988.
« Les relisant aujourd’hui, il me semble qu’ils n’ont rien perdu de leur vivacité. Puissent-ils, à l’instar des textes qui complètent ce volume, inciter des lecteurs à aller au plus près d’un monde où même l’amour a « la saveur du terrible ».
« Le franchissement de la ligne. » Louis Calaferte nommait ainsi cet instant où l’homme abdique et entre en agonie. La création fut le barrage qu’il établit face à la maladie. Écrire, peindre, aimer, en une tempête chaque aube éveillée, pour ne pas se laisser surprendre. Telle fut la leçon de vie de ce « mortimiste ».
Pierre Drachline.

Les Entretiens ont été restitués dans l'ouvrage sans la moindre réécriture, tels qu'ils ont été dits sur France Culture. Extraits :

P.D.- Vous avez commencé quand l’écriture de Septentrion ?

L.C.- J’ai mis cinq ans à l’écrire. Je l’ai publié… je ne sais plus… Il y avait déjà un an qu’il était fini.

P.D.- En 1963. C’est un livre qui est mal parti, un livre qui a une légende. Un des rares livres de la littérature contemporaine que les gens se signalent comme en secret. On se le passe un peu, mais on le prête difficilement, de peur de ne pas le voir revenir. Et c’est un livre qui commence par une phrase superbe, « Au commencement était le sexe ». Alors, référence à la Bible ?

L.C.- Bien sûr. Bien sûr. Forcément, oui. Il y a une espèce de dénaturation, là.

[…]

P.D.- Il y a dans Septentrion un passage superbe sur la lecture – qui a d’ailleurs été repris en affiche par les éditions Denoël – sur la nécessité de lire.

L.C.- Sur la nécessité absolue de lire. Parce que… la connaissance c’est la vie. Point. Terminé. C’est tout. Si on n’a pas ça dans la tête, on est foutu. D’une manière comme de l’autre, on est foutu. Et ça c’est une choses que personne n’enseigne… Parce que moins il y a de connaissance, plus on peut vous étouffer. Non, non, la connaissance, c’est la vie. Donc, il faut lire. La connaissance s’acquiert. En fait, qu’on le veuille ou non, jusqu’à maintenant il n’y a quand même qu’un moyen, c’est quand même le livre. Le reste… l’image… moi, je veux bien, mais enfin… l’image, ça passe.

[…]

P.D.- Ce rapport à la femme ? Ce mélange de fascination et de répulsion dans Septentrion

L.C.- Ah ! Nous y voilà.

[…]

P.D.- Il y a quelques très beaux portraits de femmes dans Septentrion.

L.C.- Oui… très beaux ?... enfin… il y a un portrait de femme.

[…]

P.D.- Ça ne vous a pas trop énervé les comparaisons qui ont été faites avec Henry Miller ?

L.C.- Pas du tout. Pas du tout. J’avais une très grande admiration – que j’ai toujours – pour Miller.

P.D.- Vos œuvres respectives n’ont pourtant pas grand-chose à voir.

L.C.- Non. Oh ! mais, moi, on m’a comparé à tout le monde. On m’a comparé à Céline. Un jour, j’avais fait la liste. C’est effrayant. Kafka. Céline. Miller… je ne sais plus. Qui encore ? Enfin, il y en avait des paquets, des tonnes. C’est le besoin de comparaison. Quoi qu’il en soit, l’univers de Miller n’est pas le mien. Cela dit, moi, j’aime beaucoup Miller.

P.D.- Dans Septentrion et ça, on ne l’a pas assez souligné – on a préféré s’arrêter souvent aux anecdotes -, il y a un travail, avant tout, sur la langue, qui est fantastique.

L.C.- Merci de le dire !...

=0=0=0=0=

P.D.- Aujourd’hui, un écrivain qui a quelques milliers de vrais lecteurs, c’est fantastique.

L.C.- Ah ! bon. Alors, c’est fantastique. Alors, j’ai quelques milliers de vrais lecteurs. Je suis content de les avoir. Je ne les connais pas, eux non plus d’ailleurs, ils m’écrivent de temps en temps, je réponds un petit peu et puis après je ne réponds plus, parce que, sinon, ça n’a pas de fin. Ça me fait plaisir, je suis content, mais ce n’est pas mon objet. Vous savez bien que je suis loin de tout ça. Pourtant très longtemps – une fois encore, je ne raconte pas d’histoires – j’ai envisagé de ne pas publier. Vraiment. Ça ne m’aurait pas gêné du tout.

P.D.- Qu’est-ce qui vous a amené à cette position ?

L.C.- Rien, mais…

P.D.- Un dégoût ?

L.C.- Oui… voir toute cette…

P.D.- Une fatigue ?

L.C.- Voir cette vanité… toute cette agitation autour de ça… Je ne sais pas, moi, le menuisier qui fabrique une table, il ne fait pas tant d’histoires. Il fait sa table, elle tient debout, il a mis ses quatre pieds. Moi, je fais des livres et, en général, ils tiennent debout, ils ont leurs quatre pieds. Je suis prêt à l’anonymat, qu’on ne mette pas mon nom sur les couvertures, dans les journaux. Je m’en fous ! Ça ne me gêne pas. Je m’en fous ! Au contraire, même, je souhaiterais que l’art soit complètement anonyme. Ça se faisait, vous savez… les ateliers… Leonardo da Vinci… A cette époque-là… C’est le XIXe qui a amené tout ça… cette personnalisation… Un peu plus tard, la vedette… C’est complètement tordu, ça. Qu’on ne mette plus aucun nom sur les livres ! Vous allez voir, il va se faire un vide dans la littérature ! Putain ! Mais personne ne va plus vouloir écrire. On va être trois à rester, vous allez voir ! Ils ne veulent pas faire de l’art, ils veulent leur nom ! Ils veulent qu’on voie leurs têtes ! C’est ça, la vérité. C’est là où ça pourrit tout ! Bon… et puis, je ne sais pas pourquoi je m’emballe…

P.D.- A défaut d’être quelqu’un, ils veulent être quelque chose.

L.C.- Oui… ils veulent être… Rien… Ils veulent être… mais vous le savez bien, vous essayez de me faire parler. (Rires) Vous la savez bien, ils veulent être à la télévision… pour qu’on les voie. Pauvres mecs ! c’est lamentable. Absolument lamentable. Je vous le dis, qu’on ne mette pas de nom sur les livres ! Anonymes. Anonymes. Vous verrez ! Pivot n’a plus personne. Réglé !

Louis Calaferte, in Choses dites. Entretiens et choix de textes, éditions Le cherche midi, 1997.


** Je viens de retrouver ce que cet ami m’avait écrit au sujet de Septentrion.

"Je pensais que vous n'aviez pas lu Calaferte et qu'en effet ce serait un grand bonheur pour vous, il me semble. Ses textes poétiques sont aussi intéressants, mais à l'instar de Céline avec "Le voyage..." (et "Mort à crédit" que j'aime aussi beaucoup) je dirais qu'il a "tout" mis dans son Septentrion.

Je pense également à un autre auteur, spontanément, que vous avez peut-être lu, et que vous aurez sans nul doute adoré, c'est Marcel Moreau. Il y a un an, environ, il a publié Nous, amants au bonheur ne croyant... (Éditions Denoël), qui est un troublant hymne à l'amour (et à sa perte qui le grandit souvent davantage). Mais ces textes antérieurs étaient tout aussi puissants. Je pense qu'avec cet auteur, d'origine belge, le lecteur touche à la "gangue" du verbe. Et son oeuvre parle de la femme comme peu d'auteurs ont su le faire.
Ainsi de Quintes (publié en 1963), Sacre de la femme, Julie ou la dissolution, Le Chant des paroxysmes....
Si ce n'est déjà fait, je vous laisse aux "Anges" de le découvrir!"

Il va sans dire que j'ai "adoré" Marcel Moreau.

"Tous les livres ne sont pas pour tous les lecteurs indifféremment. Chacun doit trouver les siens. Les trouve-t-il, c'est l'harmonie."
Louis Calaferte.

Vidéo INA et lire aussi ici.