Je conservais dans une grande enveloppe ce qu’il m’envoyait par la poste. Oh! ce n’était pas grand-chose, enfin rien de grande valeur, mais pour moi c’était comme des petits morceaux de lui dont il se séparait pour me les offrir. Comme ça, sans rien attendre en retour. D’ailleurs je ne connaissais même pas son adresse.
Nous correspondions par mail, nous plaisantions beaucoup, je ne lui cachais pas grand-chose de ma vie et il ne me disait pas grand-chose de la sienne. Je prenais ce qu’il me donnait : du rire, de la légèreté, de la philosophie, de l’esthétisme, une présence virtuelle, rituelle, spirituelle. Tout cela était très… fraternel, reposant car si éloigné de l’amour, enfin, disons que j’ai mis un peu de temps à comprendre qu’il ne s’agirait jamais d’amour entre nous. Il avait déjà une bien-aimée dont il me parlait beaucoup et j’aimais qu’il m’en parlât. C’est assez délicieux le non-amour. Nous savions désormais que jamais nous ne nous rencontrerions, qu’un jour très certainement, lassés des échanges virtuels, nous nous perdrions de vue si j’ose dire. Nous vivions à des milliers de kilomètres l’un de l’autre….
Il peignait dessinait parfois et, s’il ne vivait pas de son art, ce n’en était pas moins un artiste. Je découvris un jour une photo d’une de ses œuvres, que j’aimais d’emblée. Je lui demandai s’il pouvait m’envoyer la photo en plus haute résolution, je voulais la faire agrandir et encadrer. Il me répondit laconiquement : je vais voir si je la retrouve dans mes cartons. Je lui répondis aussitôt que je voulais une photo, pas qu’il se séparât de l’original, surtout pas.
Le temps passa, nous poursuivions nos échanges, je pourrais même dire nos enfantillages, cimentés tout de même parfois, de littérature, d’interrogations, de philosophie.
Puis un matin, je trouvai dans ma boîte aux lettres (moi je ne suis pas sur une liste rouge) une très grande enveloppe, un peu mal en point. Je reconnus les timbres. Je remontai l’escalier rapidement, refermai ma porte et ouvris l’enveloppe avec précaution, j’avais le pressentiment de ce qu’elle contenait. J’éclatai de rire en voyant l’emballage : ah ! c’est vraiment un artiste me dis-je ! Oh joie, c’était la peinture dont je voulais la photo. Il m’avait offert l’original, son original. Unique exemplaire avec sa signature et l'année de sa réalisation.
Tu le sais bien toi mon Amour ce que ça vaut un original d’artiste, inconnu ou pas.
Ce que j’avais sous les yeux était encore plus beau que la peinture en photo. Je ne pus que lui dire merci.
Je l’apportai rapidement chez mon encadreur.
Il a réussi à le retendre, on ne voit plus les « souffrances » du voyage postal. Il est maintenant sur mon mur… pour toujours. Les tons : ambre et gris ou or et argent, c’est selon la lumière qui rentre dans la pièce.
Il se passe parfois des choses merveilleuses par Internet.