mardi 2 mars 2010
Didier da Silva
Je viens de terminer Treize mille jours moins un le second roman de Didier da Silva, un jeune auteur que j'ai découvert grâce à son blog Les idées heureuses puis Halte là. Le premier, Hoffmann à Tôkyô m'avait déjà séduite. Il y a dans ces deux romans une mélancolie, une solitude, un mal de vivre dans lesquels on ne se laisse pas sombrer mais emporter par un style littéraire précieux, précis et talentueux, non dénué d'humour (noir) comme dans l'extrait que j'ai choisi pour Treize mille jours moins un. Je les ai lu avec une grande émotion, sans a priori n'ayant lu aucune critique avant de m'y plonger; parcourir son blog Les idées heureuses avait suffi à me donner l'envie de lire ses romans. Alain Veinstein avait invité l'auteur en 2007 dans son émission Du jour au lendemain pour parler de son livre Hoffmann à Tôkyô, je regrette de ne pas l'avoir découvert plus tôt, malheureusement on ne peut plus "podcaster" l'émission. Mais il n'est pas trop tard pour lire ses deux romans, en attendant le prochain... pour les amoureux de la littérature.
Les désirs ardents
habitant le corps
s'éteindraient-ils
rien qu'à rencontrer
ce vent frais?
La fortune avait mis dans ses mains des poèmes de Saigyô. Il ne désira rien plus ardemment, dès lors, que d'être un moine poète en onze cent et quelques, retiré dans sa hutte de montagne pour y décrire sa solitude et les saisons, touchant la flûte à l'occasion.[...] Si son âme était noire, l'ignorer valait mieux, ou du moins la prendre à la blague. Il se complairait désormais dans le silence et la pureté, la retenue, l'élégie calme et la plus courtoise ironie. Il serait un lyrique japonais.
Par le coeur certes
on peut se rendre
dans la montagne profonde
mais sans y habiter
comment en connaître la solitude?[...]
Ses humeurs? Une loterie. Son âme? Elle aurait donné aux éponges des leçons d'hospitalité. Sans jamais vraiment savoir pourquoi tout roulait, pourquoi tout clochait, il allait au gré de ces imprévisibles riens qui font un jour, un mois, un an. Le sang-froid n'était pas son fort. Le temps dans lequel il vivait n'était qu'une série de bifurcations, l'avenir qu'une confusion de possibilités.
Il était doué pour l'oubli. Il enviait les gens qui pouvaient se reposer sur un passé, quand le sien lui semblait être une étendue de sables mouvants, dans un désert sans nord ni ouest. Sa seule marge de manoeuvre était un qui-vive-permanent.
Ses vertiges et ses tremblements l'en avaient persuadé très tôt, il n'était qu'un paquet de nerfs. Il est difficile de lutter contre un préjugé inscrit dans la chair, il entendait parler de la volonté mais n'y croyait pas sérieusement. Son âme? Un juke-box en random, une auberge espagnole, ses pulsions bivouaquaient et se tapaient la cloche.
Cet accueil enthousiaste du meilleur et du pire formait en somme un caractère, c'était bien la seule unité qu'il revendiquait. Il ne préférait pas le bonheur au malheur, les deux avaient leur intérêt. Il avait très envie de se suicider? Bah, ce n'était qu'un mauvais moment à passer. Le premier courant d'air venu le délogerait de cet abîme. Valse triste, valse drôle, il ne savait pas danser.
Hoffmann à Tôkyô, pages 38 - 39 - 40.
"Il considéra son âme. Elle avait disparu. D'aise, il soupira".
"Didier da Silva est né en 1973 à Marseille où il vit.
Quand il n'écrit pas, il joue du piano."
4ème de couverture
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[...] Il observa un instant les poissons. Où était passé le nez rouge? Il se cachait sans doute derrière une plante...
Il le vit alors, flottant entre deux eaux. Raide mort, à n'en pas douter. Il avait bien besoin de çà mais ce coup de théâtre, cet audible ricanement du sort ne pouvait faire moins que le démoraliser. Sauf à nier l'idée même de l'augure, abriter sous son toit un cadavre en était un assez mauvais et il plongea une main dans l'aquarium, l'air dégoûté, pour saisir entre majeur et pouce le petit corps inerte, de l'autre il étendit à la hâte sur la table une serviette à portée, en manière de linceul et pour le protéger des miettes du biscuit déchiqueté, douteuse panure. Il le regarda longtemps, çà n'était guère plus gros qu'un ongle et çà prenait pourtant une place épouvantable, tout semblait mort par contamination, la chaise comme la cafetière, le pouf et le pot, il lui appartenait de défendre fièrement les couleurs de la vie (Goya* ronflait ailleurs) mais, pour l'heure, il aurait fait une médiocre pom pom girl. Quelque chose avait foiré. Une eau trop froide? une nourriture mal adaptée? un virus? la neurasthénie? Ce matin encore il pétait le feu, fusant d'une vitre à l'autre dans un émerveillement constamment renouvelé; il irradiait une douce petite lumière dans laquelle sa chair, toute de transparences irisées, se faisait oublier. Qu'il était donc terne, opaque, solide et ridicule ainsi, figé dans sa mort. Sam devait maintenant décider quoi faire du corps. Et s'il lui donnait un nom? Il était certes un peu tard. La poubelle était exclue. Goya ne le défèquerait pas.
L'enterrer au pied du ficus?
Il le glissa pour finir dans un bout de papier de soie, autour duquel il noua un bout de ficelle : transformé en paquet cadeau, il lui parut inoffensif, mignon, presque pimpant. Il ne lui restait plus qu'à le bazarder, plus tard, sans états d'âme. En attendant pour se distraire il alluma la télévision.
* Goya est son chat.
Treize mille jours moins un, pages 44 - 45.
Lire ici aussi le très beau billet de Philippe Annocque et cet autre intitulé Couperin me flanque le blues.
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