samedi 8 mars 2014

Le bonheur est dans l'ignorance

Journal.
Vendredi 28 février 2014.

La tempête Andrea balaie les rues ne laissant pas le moindre mégot de cigarette entre les pavés. Le centre ville était une fois de plus déserté; j'y étais, j'aime prendre des risques. Un temps pourri à ne pas pouvoir ouvrir un parapluie. C'était bizarre de voir des vitrines déjà printanières dans les boutiques de mode. 

J'entrais dans un magasin de chaussures. J'essayais une paire de derbies collection printemps-été. Hé oui, il faut chasser l'hiver, le vent démoniaque, les pluies diluviennes, les vagues scélérates. J'hésitais, comme toujours, à faire l'achat du premier coup, sans me dire : je vais réfléchir. Elles m'allaient bien, étaient très souples, impeccables pour faire mes allers-retours en ville à pied, plus élégantes que les Converse que je porte en été et qui attirent les regards désapprobateurs des bourgeoises de mon âge mais je m'en fiche, Micheline Presle en porte aussi avec élégance!
La vendeuse - sans doute la patronne - était sympathique, me laissait réfléchir sans insister avec des compliments, des conseils qui m'auraient agacée et fait fuir rapidement. OK, je les prends, au printemps il n'y aura plus ma pointure. "Allons-y Allons-o" comme dirait mon chouchou!
Puis, étant la seule cliente, nous échangeons quelques mots dans le genre : conversation féminine et, plus précisément sur les outrages de l'âge. Je la trouvais avenante, la belle soixantaine, si si vraiment, grande, un beau visage avec quelques uniques rides au coin des yeux qui rendaient son regard joyeux, lumineux; le reste était charnu, généreux, tout ce que je n'avais pas (mais que j'étais? Mmm!). Elle portait une robe Mondrian, celle que Yves Saint Laurent a créée, en hommage à l'artiste. Était-ce une copie ou portait-elle la marque du couturier? Les couleurs étaient moins vives. Qu'importe elle la portait avec élégance et un gilet décontracté par dessus. En insérant ma carte bancaire dans le boîtier je ne pus m'empêcher de lui dire :
- Votre robe Mondrian vous va très bien.
- Mandrian c'est quoi cette marque? me répond-elle avec un sourire...
(Ouille) et elle poursuit :
- ... c'est une Saint-Laurent.
(C'est sûr, c'est la patronne)
- Mais oui, Yves Saint Laurent s'est inspiré de Mondrian pour dessiner cette robe lui dis-je. On la voit d'ailleurs dans le film YSL.
- Ah bon? Je ne l'ai pas encore vu me dit-elle. Vous dites Mandrian? Comment l'écrivez-vous?
(J'étais stupéfaite)
- Mondrian pas mandrian M O N D R I A N. C'est un grand artiste-peintre connu du grand public (je l'espérais) pour ses lignes géométriques et ses carrés colorés, comme votre robe.
(Je n'allais pas lui faire un cours). Une cliente rentrait dans le magasin.
- Merci, à bientôt me dit-elle.
...



La fameuse robe Mondrian, présentée lors du défilé automne-hiver 1965-1966 
 et reportée lors du défilé d'adieu du créateur en 2002.

Un clin d'oeil ici à Piet Mondrian (Jessica craig-Martin)



via le site Artsy 

En sortant du magasin j'étais époustouflée par cette histoire de robe, et rapidement décoiffée... par une bourrasque de vent, ce qui ne changeait guère de mon ordinaire... Je me suis posée une question hautement philosophique : la connaissance peut-elle être un obstacle au bonheur ou permet-elle d'y accéder? Cette femme avait l'air heureuse: elle restait dans le futile sans essayer de l'approfondir. Mais peut-être, de nous deux, était-elle la plus profonde, selon la philosophie de Raphaël Enthoven à propos de Lady Gaga :

" C'est un "apparaître" Lady Gaga, un "pur à part ÊTRE". Elle n'a pas de moi profond Lady Gaga, c'est une apparence qui se donne comme telle, c'est un personnage "rossetien". On ne se demande pas quel est son prénom, sa vie, ses amants, on s'en fout, on se contente de ses coiffures de ses robes. Lady Gaga c'est un produit qui plaide coupable. A cet égard, je la trouve - si j'ose dire - plus profonde que toutes ces stars qui, de Marylin à Madonna, revendiquent, elles, le moi profond."  CQFD!

A réécouter, avec jubilation, l'émission Le Gai savoir : analyse du Loin de moi de Clément Rosset : "Moins on se connaît mieux on se porte".