Il était un père de Yasujirö Ozu
Chishū Ryū : Shuhei Horikawa, le père
Shuji Sano : Ryohei, le fils
Haruhiko Tsuda : Ryohei enfant
Depuis la mort de sa mère, le petit Ryohei est élevé par son père, le
professeur Horikawa. Leur existence s'écoule paisiblement, ponctuée par
les joies du quotidien qui viennent renforcer leurs liens. Mais un drame
vient bouleverser cette quiétude : échappant à la surveillance de
Horikawa lors d'un voyage scolaire, l'un de ses élèves se noie.
L'instituteur, qui s'estime coupable de cet accident, donne sa
démission. Il reste pourtant déterminé à inculquer à son fils le sens du
devoir qui lui fait défaut. Pour lui imposer un cadre plus sévère, il
l'envoie dans une pension. Après plusieurs années de complicité vient le
moment de la séparation...
" Est-il ou non un père sans talent, le héros
du film d'Ozu ? La question n'est pas tranchée, et c'est cela aussi qui
fait la richesse du film. Ce père-là assume d'abord ses
responsabilités. Professeur consciencieux, il voit mourir par accident
l'un de ses élèves lors d'une sortie scolaire. Il en tire une conclusion
extrême : quitter l'enseignement, se donner tout entier à l'éducation
de son fils, qu'il élève seul depuis son veuvage. L'éducation en question prend des airs de
sacrifice : envoyer le petit Ryohei en pension, travailler à la ville
pour payer ses études, le voir grandir de loin.
Ryohei pousse vite, d'ailleurs - jamais, à
notre connaissance, Ozu n'a utilisé l'ellipse temporelle avec une telle
évidence décontractée -, jusqu'à devenir un grand jeune homme,
professeur comme papa, mais en manque cruel de ce père qu'il a peu vu,
tant celui-ci s'est effacé pour lui.
Il est beaucoup question de devoir. Devoirs scolaires, plus généralement
ascèse comme choix de vie. Ozu a toujours décrit (et implicitement
condamné) la dislocation du lien familial. Ici, celle-ci est un choix,
comme une méfiance absolue vis-à-vis des sentiments. Par opposition, les
moments de dialogue entre père et fils, partie de pêche, escale au
restaurant, n'en sont que plus bouleversants, traits d'intimité
éphémères et maladroits. Jamais le cinéaste ne donne la clé : l'amour
familial, brûlant mais tu, est-il condamné par la fatalité du temps qui
passe et sépare les êtres - ce que le père, en quelque sorte, prévient ?
Ou nos personnages font-ils fausse route, se condamnant à tort à une
vie de sacrifice ?"
(Source Télérama)
(Source Télérama)
"Ozu est un continent. Cette place, immense et singulière, du cinéaste japonais sur la carte mondiale du cinéma est une des rares qui soient de nature à induire des réflexes dont on assume fièrement le conditionnement. Considérer par exemple - sur le fil d'une œuvre où les films miroitent selon les variations d'un collier de perles fines - que la sortie en salle d'un de ses films inédits, Il était un père, équivaut, pour donner un ordre d'idées, à la publication d'un chapitre inconnu de A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust."
(Source Le Monde)
J'ai pour ma part aimé la lenteur, les silences emplis de pudeur, de douceur parfois cruelle. Les choix du père sont terriblement durs pour l'enfant, il pense que cette séparation c'est pour son bien, pour le préparer à un bel avenir tandis que s'il le gardait auprès de lui, il ne pourrait lui apporter qu'une vie de sacrifices. C'est ce que croit le père, et pourtant... le fils n'aurait-il pas été plus heureux en vivant avec son père? Aurait-il accepté, compris, les privations qu'il aurait subies en vivant auprès de lui? Les interrogations ne manquent pas mais l'amour de l'un pour l'autre était bel et bien là, dans le non-dit. Je les ai trouvé bouleversants ce père et ce fils. Qu'est-ce qu'être un père, qu'est-ce qu'être un fils?
Ce film de Ozu a été réalisé en 1937, sorti en 1942. Il a été inédit en France jusqu'en 2005. Ozu n'a adhéré au film parlant qu'en 1936. Dans le bonus du DVD son acteur fétiche Chishû Ryû (le père dans ce film) raconte qu'il se trouvait meilleur dans les films muets et qu'il a éprouvé quelques difficultés d'interprétation dans les films parlants. Il se disait alors un piètre acteur, mais les cinéastes avec lesquels il tournait n'étaient pas du tout cet avis. Et dans ce film, il est magnifique.
"Roger Grenier avait intitulé un livre sur Tchekhov : "Regardez la neige qui tombe. Impressions de Tchekhov". (Tchekhov et Ozu : deux arts "à voix basse"). L'expression "cinéma à voix basse" est employée par Ozu pour qualifier son cinéma ainsi que celui de Naruse, 成瀬 巳喜男 (qu'il oppose au cinéma "à voix haute" de Kurosawa 黒澤 明)."
"Sur la tombe d'Ozu (1903-1963)
est inscrit le caractère mu, qui signifie :
inconstance, impermanence, vacuité."
Quelques images en vidéo, montées dans le désordre.
Et sans le son. On ne peut être plus épuré*.
Pour un ami...
Pour un ami...
* En parlant d'épure, j'ai vu un film magnifique : IDA de Pawel Pawlikowski. Une belle scène - entre autre - avec un morceau de Naima de John Coltrane.
"Cette musique me permettait de montrer qu’en parallèle du côté dur et gris de la Pologne des années 60 coexistait une ambiance étonnamment cool." (Pauwel Pawlikowski)
"Cette musique me permettait de montrer qu’en parallèle du côté dur et gris de la Pologne des années 60 coexistait une ambiance étonnamment cool." (Pauwel Pawlikowski)