lundi 2 juillet 2012

"Une avidité atroce"

[...]
Ma vie continue à être dominée par les mythes. Le paroxysme est la loi de ma nature. Les choses, les êtres pénètrent en moi avec une violence qui ne tarde pas à tourner à la torture.
... Je vais au-devant du monde avec une avidité atroce, et mon premier mouvement est de briser tout ce qui me résiste.
... Je tiens démesurément à des choses très ordinaires et qu'il ne me coûterait rien d'avoir si j'y tenais un peu moins - mais que je cesse bientôt de garder tellement j'ai soif de leur possession. Je vis dans une ivresse très douloureuse. Je ne me lasse de rien. Les mêmes biens me sont infiniment désirables, mon désir s'accroît même avec l'usage. C'est épouvantable, parce que sans limites. J'aime les femmes, terriblement, mais je ne me satisfais pas avant d'avoir touché chaque fibre de leur être, quitte à les faire crier, comme un accordeur de piano qui pince les cordes. C'est très affreux. Avec cela une certaine inclination à jouer la comédie, et une facilité très grande à me prendre au sérieux - tout en ayant la sensation très nette que je verrais autrement si je voulais bien aller dans les coulisses. Enfin affreusement sincère - dans la limite où il me plaît de vivre ce que je donne l'apparence de vivre. Une vertu d'indignation presque pas feinte, mais qui de temps en temps me fait éclater de rire devant ceux qu'elle terrorise. Le mépris absolu du scandale et de l'opinion publique. Un amour démesuré de la justice - au point qu'il me serait égal que cela me mène en prison. L'impossibilité complète de prendre au sérieux tout ce qui est social ou du moins les sentiments où le Social domine. Très bon, jusqu'à pardonner les injures, et incapable de comprendre la méchanceté à tel point que cela peut me rendre très méchant. Une permanence de désespoir qui ne m'empêche nullement d'être gai. Un sentiment très vif de Dieu, que j'aime passionnément dans ses créatures, ce qui m'empêchera toujours d'être tout à fait païen."

Extrait d'une lettre de Paul Gadenne à Geneviève LIEFF,
recopiée dans les Carnets, le 4 décembre 1939,
publiée dans La Rupture, 1999, Editions Séquences.

Didier Sarrou, in Paul Gadenne, éditions La Part Commune, Collection Silhouettes Littéraires, 2003.