mercredi 18 juillet 2012

... cette possibilité sublime.

"L'amitié stellaire.- Nous étions amis, et nous sommes devenus étrangers l'un à l'autre. C'est bien ainsi, nous ne nous cacherons, nous ne nous dissimulerons rien : nous n'avons à rougir de rien. Nous sommes deux navires dont chacun a son but et sa voie. Nous nous sommes, par hasard, croisés; nous avons célébré ensemble une grande fête - et alors nos deux courageux navires ont si tranquillement reposé dans le même port et sous le même soleil qu'ils semblaient avoir tous deux atteint le but qui leur était commun. Mais la force toute-puissante de notre devoir nous a de nouveau chassés vers des mers, des soleils divers - et peut-être nous ne nous reverrons plus jamais - et peut-être aussi nous nous reverrons, et nous ne nous reconnaîtrons plus : les mers et les soleils divers nous auront transformés! Nous devions nous devenir étrangers, c'était écrit en nos destins; raison de plus pour sanctifier l'idée de notre amitié finie! Sans doute, il existe un astre lointain, invisible et prodigieux, qui donne une loi commune à nos petites évolutions : élevons-nous jusqu'à cette pensée! Mais notre vie est trop courte, notre vue trop faible : nous devrons nous contenter de cette possibilité sublime. Et s'il nous faut être ennemi sur terre, malgré tout, nous croirons à notre amitié stellaire*."

* Le Gai Savoir, § 279.
Nietzsche.

Extrait tiré de l'ouvrage de Daniel Halévy, Nietzsche.

                                                                                                       Pour l'ami inconnu.