samedi 9 avril 2011

Un crayon dans la tête

Avant que commence le spectacle je regardais la scène, dans l’ombre, et j’ai tout de suite pensé que j’allais regretter d’être venue. Deux cordes pendaient du plafond, de grandes flaques d’eau au sol, une chaise sur le plateau, une autre accrochée à une corde, des murs noirs percés d’ouvertures. Je connaissais pourtant le sujet de la pièce. Mais quelle idée de venir voir quelque chose qui allait me perturber un peu plus, sur la vieillesse, la mort, le suicide alors que ces sujets sont une obsession ?



Dominique Reymond (La Vieille) et Micha Lescot (Le Vieux)  interprètent  ' Les Chaises ' de Eugène Ionesco , mise en scène de Luc Bondy, décors et lumières Karl-Ernst Herrmann , costumes Eva Dessecker , son et musique André Serré , maquillage et coiffure Cécile Kretschmar , collaborateur artistique Geoffrey Layton , assistant à la mise en scène Roch Leibovici

Dans la salle, comble, les lumières s’éteignent, des spots éclairent faiblement le plateau et le vieux couple, deux vieillards, entrent en scène, bringuebalants, deux silhouettes décharnées, tremblantes, grimaçantes. Mon appréhension se confirme. Je vais être confrontée à ma propre finitude. Car, le metteur en scène, Luc Bondy, ne nous épargne rien de la déchéance physique : tremblements, dentier que le vieux crache, et même la couche-culotte du vieil homme ; il fallait oser... ce cruel retour à l'enfance?

Mais c'est autre chose qu’il faut retenir de cette pièce, Les Chaises de Eugène Ionesco, c’est toute la folie de ces deux êtres qui parviennent encore à 90 ans à esquisser des pas de danse en écoutant à la radio Marinella, à se moquer du monde en faisant des pirouettes et elle, divine, à jouer de sa féminité lorsqu’elle oublie ses douleurs, elle bouge alors avec la grâce d’une danseuse.


J’ai beaucoup ri durant ce spectacle (j’avais le sentiment de rire plus que les autres) parce qu’il me prenait de plein fouet et j’aime l’idée que l’on puisse rire de soi, rire du pire, de ce que nous deviendrons, peut-être, si par (mal)chance ?!? nous parvenions à atteindre un grand âge. Cela remet beaucoup de choses en place de nos valeurs.


Cinq minutes d’inquiétude ont vite été remplacées par une heure quarante de bonheur : dérision, absurdité, acceptation de la mort, sénilité, solitude et des moments d’une tendresse infinie et bouleversante.
La fin ? Il faut aller voir la pièce !

Le THEATRE et sa MAGIE, avec deux comédiens prodigieux : Dominique Reymond et Micha Lescot.
Mais tout est dit ici comme je l’ai ressenti.
Je craignais de m’ennuyer, de fermer les yeux pour ne pas voir… Ben non, même pas peur de vi…… vre ! J'inventerai, comme ces vieillards, des invités imaginaires le jour de ma mort pour faire la nique à la solitude.
"Quoi de plus normal que d'imaginer une fête? La dernière fête avant de se suicider?" dixit Luc Bondy.


Cette scène a quelque chose de celle de Pina (ci-dessous) que l’on peut voir dans le film de Wim Wenders (que je n’ai pas encore vu). Il dit ceci de Pina Bausch :
« Ce qui l’intéressait, ce n’était pas la façon dont ses interprètes bougeaient mais ce qui les faisaient bouger. […] En sortant de ses spectacles, je marchais autrement, mon corps était en train de danser ».


Je dansais aussi hier soir après avoir vu Les Chaises, j’aurais pu avoir des semelles de plomb c'étaient des ballerines que j'avais aux pieds ! Et puis, j'avais un crayon dans la tête!

Dernière minute : Luc Bondy.