lundi 18 avril 2011

...et la lumière fut

J’ai tardé à en parler, ne sachant par où commencer, il y a tant de tableaux à découvrir. Il faudra d’ailleurs que je revisite cette exposition une seconde fois ; j’attendrai maintenant la fin de l’été, quand le flot de touristes se sera évaporé.

Cette exposition « De Turner à Monet, la découverte de la Bretagne par les paysagistes au XIXe siècle » a reçu le label d’exposition d’intérêt national.
"Ce label, décerné par le ministère de la Culture et de la Communication, récompense chaque année les manifestations organisées par les musées de France, les plus remarquables par leur qualité scientifique, leurs efforts en matière de médiation culturelle et leur ouverture à un large public." Il faut dire que le musée des Beaux-Arts de Quimper est un très bel endroit que bien des villes de même importances doivent nous envier. Difficile d’imaginer ce que représente l’organisation d’une exposition d’une telle envergure : « le conservateur doit fournir un facility report, un gros dossier contenant le projet scientifique et historique, les plans des salles, la localisation des extincteurs, les courbes d’hygrométrie, la liste des musées qui ont déjà consenti à des prêts, etc. Quimper a de belles références, tels le MoMa de New York, la Tate Gallery ou le Louvre. « Et pourtant, la première réponse des musées est souvent négative, raconte André Cariou, le conservateur. Du côté des collectionneurs privés, ce n’est pas simple non plus… Il faut alors forcer un peu le destin, faire jouer ses relations et discuter longuement des conditions. » Au total, les œuvres proviennent de quarante trois endroits différents. »

Cette exposition comprend 82 peintures, 75 dessins, 26 estampes et 13 livres. Évidemment, je ne vais ici que donner un infime aperçu de ce que l’on peut admirer, pour aller vite, en deux mots, un peu de ce qui a retenu mon attention.

J’ai trouvé très intéressante la mise en vis-à-vis de plusieurs tableaux représentant un même lieu par des artistes différents. Comme cette toile de Jean-François Hue, de 1795 : Vue de l’intérieur du port de Brest et celle de Joseph Mallord William Turner, de 1826 : Le Port de Brest, le quai et le château, dont j'ai parlé plus en détail ici. On peut parler d'abstraction lyrique pour ce tableau de Turner.

 Jean-François Hue, Vue de l'intérieur du port de Brest, 1795


J.M.William Turner, The Harbour of Brest :
The Quayside and Château , 1826-1828. Tate London

Mais ce qui m’a émerveillée ce fut de voir des œuvres d’un même artiste si différentes, passant de la figuration avec une peinture très étudiée, léchée, à un impressionnisme précurseur, avec légèreté.
Notamment de Eugène Boudin, ce tableau de 1873 : Le Port de Camaret puis ces Falaises à Douarnenez, de 1897 où Eugène Boudin - vingt quatre ans plus tard - se laisse aller à une grande liberté.

Eugène Boudin, Le Port de Camaret, 1873.

L’une des œuvres les plus importantes de Boudin.
Celui qui a été le professeur de Claude Monet y démontre sa virtuosité à traduire les effets atmosphériques.


Eugène Boudin, Bretagne, Falaises à Douarnenez, 1897

Ainsi de Claude Monet, mais mon étonnement fut moins grand que pour Eugène Boudin, l’impressionnisme étant déjà moins académique.

Claude Monet, Les Rochers de Belle-Ile, la Côte sauvage, 1886
Dépôt du musée d'Orsay

Je suis dans un paysage superbe de sauvagerie, un amoncellement de rochers terribles et une mer invraisemblable de couleurs.
Enfin je suis très emballé quoique ayant bien du mal, car j’étais habitué à peindre la Manche et j’avais forcément ma routine.
Mais l’océan c’est tout autre chose.
Claude Monet : Lettre à Gustave Caillebotte, 21 octobre 1886.


Claude Monet, Pluie à Belle-Ile, 1886.

Lassé par l’incessante tempête, il choisit un point de vue à l’abri et peint l’un de ses rares regards vers l’intérieur, vers la lande belliloise.

Ensuite j'ai poursuivi tranquillement ma visite, m'arrêtant sur ce qui accrochait mon regard.

Thomas Alexander Harrison, Marine au clair de lune, vers 1892-1893

Harrison appartient à cette génération d'artistes originaires de la côte est des Etats-Unis qui séjournent volontiers en Bretagne à la fin du XIXe siècle.
Après avoir résidé à Pont-Aven, il s'installe à Concarneau loin de l'affluence et peint les plages de Mousterlin et de Beg-Meil.
A partir de 1885, il se fait une spécialité des marines nocturnes qu'il représente d'une manière symboliste.
Marcel Proust admirera de telles œuvres, lors de sa rencontre avec le peintre.
Dépôt du musée du Louvre.


T. Alexander Harrison, sans titre : quatre marines sur une toile non datée

Elodie La Villette, La grève de Lohic et l'île des Souris, près de Lorient. La mer étale. 1875
Dépôt du musée d'Orsay, Paris.


Octave Penguilly-L’Haridon, Les Petites Mouettes,
rivages de Belle-Île-en-Mer à Port Donan, 1858

Je ne veux pas quitter cet aimable artiste, dont tous les tableaux cette année sont également intéressants, sans vous faire remarquer plus particulièrement Les Petites Mouettes, l’azur intense du ciel et de l’eau, deux quartiers de roche qui font une porte ouverte sur l’infini (vous savez que l’infini paraît plus profond quand il est plus resserré), une nuée, une multitude, une avalanche, une plaie d’oiseaux blancs, et la solitude ! Considérer cela mon cher ami, et dites-moi ensuite, si vous croyez que Mr. Penguilly soit dénué d’esprit poétique.
Baudelaire.

Octave Penguilly-L’Haridon, Les Roches du Grand Paon, île de Bréhat

« On dirait un paysage de la planète avant l’apparition de l’homme ».
Théophile Gautier.

Et je termine par le port de Quimper, puisque c’est là que je vis aujourd’hui. Chaque jour j’emprunte la passerelle qui va d’une rive à l’autre et chaque jour, quelle que soit l’heure, mon regard est ébloui par ce lieu où scintille la rivière de l’Odet ; les flèches de la cathédrale pointées vers le ciel transpercent mon cœur de leur beauté comme le feraient des flèches d’amour. (Je ris, il faut bien que je me motive, à vivre ici, dans la solitude).

Eugène Boudin, Vue du Port de Quimper prise de l’aval, 1858.

Oui, c’est une belle exposition, à voir et à revoir :
Du 1er avril au 31 août.

Les photos étaient interdites et toutes celles reproduites ici proviennent de diverses recherches sur le Net. Les légendes sous les tableaux sont celles de l’exposition.

Allez, j'ose joindre mes "marines" de Quimper, mais le ciel de Eugène Boudin est bien plus beau :