samedi 15 février 2014

La question du beau et du laid



"Rien n’est beau seul l’homme est beau. C’est sur cette naïveté que repose toute esthétique, elle en est la première vérité. Ajoutons-y d’emblée la seconde : rien n’est laid sinon l’homme qui dégénère, voilà qui circonscrit l’empire du jugement esthétique. Comme la physiologie le vérifie, tout ce qui est laid affaiblit et afflige l’homme, cela lui rappelle la décadence, le danger, l’impuissance, cela occasionne de fait en lui une perte de force. On peut mesurer l’effet du laid au dynamomètre ; là où l’homme est déprimé en général, il flaire la proximité de quelque chose de laid. Son sentiment de puissance, sa volonté de puissance, son courage, son orgueil, cela baisse avec le laid cela augmente avec le beau. Dans l’un comme dans l’autre cas, nous tirons une conclusion : les prémisses en sont accumulées dans l’instinct en quantité formidable. Le laid est compris comme un indicateur et un symptôme de dégénérescence. Le plus lointain rappel de la dégénérescence produit pour effet en nous, le jugement laid. Tout signe d’épuisement, de pesanteur, d’âge, de lassitude, toute espèce d’absence de liberté se manifestant comme crampe, comme paralysie, avant tout l’odeur, la couleur, la forme de la dissolution, de la décomposition, fut-ce sous la forme diluée à l’extrême du symbole, tout cela suscite la même réaction : le jugement de valeur, laid. Il y a là irruption d’une haine : qui l’homme prend-il en haine ici ? Mais cela ne fait aucun doute : le déclin de son type. Il hait depuis l’instinct le plus profond de l’espèce, cette haine contient de l’horreur, de la prudence, de la profondeur, de l’anticipation ; c’est la haine la plus profonde qui soit, c’est grâce à elle que l’art est profond."

Nietzsche, in Incursions de l'inactuel.

Extrait tiré de l'émission des NCC, Le Crépuscule des  idoles de Nietzsche.
Le Nietzsche de Dorian Astor