Ernest Hemingway en 1923
(Photo de son passeport)
Engagé en novembre 1921 comme correspondant étranger du Toronto Star, il déménage à Paris, où il habite, avec sa femme Hadley, au troisième étage du 74 rue du Cardinal-Lemoine, dans le Quartier latin de Paris, de à .
La Closerie des Lilas en 1909.
Aujourd'hui, la terrasse est clôturée et
la clientèle hétéroclite est à l'abri du regard des badauds.
Aujourd'hui, la terrasse est clôturée et
la clientèle hétéroclite est à l'abri du regard des badauds.
"Je m'assis dans un coin, dans la lumière de l'après-midi qui filtrait par-dessus mon épaule, et je me mis à noircir mon cahier. Le garçon m'apporta un café crème et j'en bus la moitié quand il fut un peu refroidi et laissai l'autre moitié dans la tasse pendant que j'écrivais.
[...]
[...]
Il n'était pas de bon café plus proche de chez nous que La Closerie des Lilas, quand nous vivions dans l'appartement situé au-dessus de la scierie, 113, rue Notre-Dame-des-Champs, et c'était l'un des meilleurs cafés de Paris. Il y faisait chaud, l'hiver; au printemps et en automne, la terrasse était très agréable, à l'ombre des arbres, du côté du jardin et de la statue du maréchal Ney, et il y avait aussi de bonnes tables sous la grande tente, le long du boulevard. Deux des garçons étaient devenus nos amis. Les habitués du Dôme ou de La Rotonde ne venaient jamais à la Closerie. Ils n'y trouvaient aucun visage de connaissance et nul n'aurait levé les yeux sur eux s'ils étaient venus. En ce temps-là beaucoup de gens fréquentaient les cafés du carrefour Montparnasse-Raspail pour y être vus et, dans un certain sens, ces endroits jouaient le rôle dévolu aujourd'hui aux "commères" des journaux chargées de distribuer des succédanés quotidiens de l'immortalité.
La Closerie des Lilas était, jadis, un café où se réunissaient plus ou moins régulièrement des poètes, dont le dernier, parmi les importants, avait été Paul Fort, que je n'avais jamais lu. Mais le seul poète que j'y rencontrai jamais fut Blaise Cendrars, avec son visage écrasé de boxeur et sa manche vide retenue par une épingle, roulant une cigarette avec la main qui lui restait. C'était un bon compagnon, tant qu'il ne buvait pas trop et, à cette époque, il était plus intéressant de l'entendre débiter des mensonges que d'écouter les histoires vraies racontées par d'autres. Mais il était le seul poète qui fréquentait La Closerie des Lilas en ce temps-là, et je ne l'y rencontrai qu'une seule fois. La plupart des consommateurs étaient de vieux barbus aux habits râpés, qui venaient avec leurs femmes ou leurs maîtresses, et arboraient ou non le fin ruban rouge de la Légion d'honneur au revers de leur veston. [...]
La présence de tous ces gens rendait le café accueillant, car chacun s’intéressait aux autres et aux apéritifs, cafés ou infusions qu'ils consommaient, et aux journaux et magazines fixés à des baguettes pour que leur lecture en fût facilitée, et nul ne songeait à se donner en spectacle.
On y rencontrait aussi d'autres consommateurs, des habitants du quartier fréquentaient la Closerie, certains d'entre eux décorés de la croix de guerre et d'autres avec le ruban jaune et vert de la médaille militaire, et j'observais avec quelle habileté ils remédiaient à la perte d'un de leurs membres, et évaluais la qualité de leurs yeux de verre et l'adresse avec laquelle leurs visages avaient été remodelés. [...]
En ce temps-là, nous n'avions aucune confiance en quiconque n'avait pas fait la guerre, mais nous ne faisons non plus entièrement confiance à personne, et pensions souvent que Cendrars aurait pu se montrer un peu plus discret sur la perte de son bras. J'étais heureux qu'il fût venu à la Closerie tôt dans l'après-midi, avant l'arrivé des habitués.
Ce soir-là, j'étais attablé à la terrasse, observant la lumière changeante sur les arbres et les maisons, et le passage des grands chevaux lents sur le boulevard. La porte du café s'ouvrit derrière moi, à ma droite, et un homme en sortit, qui se dirigea vers ma table.
"Ah! vous voilà", dit-il.
C'était Ford Madox Ford, comme il s'appelait lui-même alors, [...]."
Pages 104 - 105 - 106 - 107.
Ernest Hemingway, in Paris est une fête (A moveable feast), édition revue et augmentée, Gallimard, 1964 et 2011 pour la traduction française. (Avant propos de Patrick Hemingway).
"Cet ouvrage contient des matériaux tirés des remises de ma mémoire et de mon cœur. Même si l'on a trafiqué la première, et si le second n'est plus." (Ernest Hemingway).
4e de couverture :
"Édition revue en augmentée : Au cours de l’été 1957, Hemingway commença à
travailler sur les «Vignettes parisiennes», comme il appelait alors
Paris est une fête. Il y travailla à Cuba et à Ketchum, et emporta même
le manuscrit avec lui en Espagne pendant l’été 59, puis à Paris, à
l’automne de cette même année. Le livre, qui resta inachevé, fut publié
de manière posthume en 1964. Pendant les trois années, ou presque, qui
s’écoulent entre la mort de l’auteur et la première publication, le
manuscrit subit d’importants amendements de la main des éditeurs. Se
trouve aujourd’hui restitué et présenté pour la première fois le texte
manuscrit original tel qu’il était au moment de la mort de l’écrivain en
1961. Ainsi, «Le poisson-pilote et les riches», l’un des textes les
plus personnels et intéressants, retrouve ici ces passages, supprimés
par les premiers éditeurs, dans lesquels Hemingway assume la
responsabilité d'une rupture amoureuse, exprime ses remords ou encore
parle de «l’incroyable bonheur» qu’il connut avec Pauline, sa deuxième
épouse. Quant à «Nada y pues nada», autre texte inédit et capital, écrit
en trois jours en 1961, il est le reflet de l’état d’esprit de
l’écrivain au moment de la rédaction, trois semaines seulement avant une
tentative de suicide. Hemingway y déclare qu’il était né pour écrire,
qu’il «avait écrit et qu’il écrirait encore »...
Ernest Hemingway est né en 1899 à Oak Park, près de Chicago. Il passa tous les étés de sa jeunesse en plein bois, au bord du lac Michigan. En 1917, il entre au Kansas City Star comme reporter. Il s'engage en 1918 comme ambulancier de la Croix-Rouge sur le front italien. Après la guerre, Hemingway reprend en Europe son métier de journaliste. En 1936, il devient correspondant auprès de l'armée républicaine en Espagne. Il fait la guerre de 1939 à 1945, participe à la Libération de Paris avec la division Leclerc, puis continue à voyager : Cuba, l'Italie, l'Espagne. En 1954, Hemingway reçoit le prix Nobel de littérature. En 1961, il met fin à ses jours."
Mes derniers souvenirs de la Closerie, l'endroit est beau mais il ne m'a guère enchantée, on est loin de sentir la présence des artistes qui l'ont fréquentée; aujourd'hui c'est devenu un "monument" à découvrir pour les touristes (j'en fus) et une clientèle parisienne "bobo" plus que bohême. Cependant mon plaisir est toujours aussi vif quand je retourne sur ces lieux mythiques de ma jeunesse estudiantine, lors de mes escapades parisiennes. Il serait d'ailleurs temps que j'y songe... je me sens si vieille, j'ai besoin d'un bain de jouvence.
C'est en écoutant l'émission de Charles Sigel consacrée à Ernest Hemingway que j'ai eu envie de lire Paris est une fête.