samedi 25 août 2012

Hermann Hesse


Hermann Hesse en 1927, Photo Gret Widmann.
50e anniversaire de sa mort le 9 août 1962.
Prix Nobel de littérature en 1946, qu'il obtint en grande partie pour


Maison de Hermann Hesse à Gaienhoffen.
Ce pourrait être Rosshalde... sur le lac de Constance

Rosshalde, c'est le nom du domaine, quelque part en Allemagne, où vivent un peintre de grand talent, Johann Veraguth, son épouse Adèle et leur petit garçon Pierre, avant la Première Guerre mondiale. La nature y est somptueuse et la vaste maison est une de ces demeures de famille synonymes, pour le cœur de beaucoup, de souvenirs précieux. Mais ici la réalité est tout autre : l'enfant, sensible et fragile, devient une source de conflit entre ses parents, qui ne communiquent plus et se déchirent. Victime de la haine des adultes, il tombe gravement malade. Ce drame va déterminer en grande partie le destin de Johann, l'obligeant à poser un regard lucide sur sa vie, à renoncer aux mirages de la jeunesse avec dans les mains son unique bien : sa valeur d'artiste. Rosshalde reste en marge de l'œuvre de Hesse par un style inhabituel : un ton glacé qui sert merveilleusement bien le sujet du livre, l'incommunicabilité entre les êtres. Il questionne la valeur de l'engagement de l'artiste, le malheur en tant que fondement de l'acte créateur.

4e de couverture


Je viens de terminer ce livre. Je n'ai pas trouvé que le style fut si différent des autres ouvrages que j'aie pu lire de cet auteur. On y retrouve la nature qu'il aime tant, l'incommunicabilité, l'amitié, les tourments de la création, dans un style peut-être plus facile d'accès que celui du Loup des steppes par exemple. De très belles pages sur les relations - difficiles, toujours cette incommunicabilité - entre le père (peintre) qui ne sait pas - ne peut pas - déconnecter de sa concentration artistique quand son fils vient le voir dans son atelier alors que celui-ci vient y chercher de l'affection, de l'amour. Cet amour que le père ne saura lui prodiguer que lorsque son enfant tombera malade, malade du manque d'amour. Comment le petit Pierre pourrait-il comprendre qu'un artiste en pleine création ne peut pas être dérangé.

"Le peintre avait déjà oublié la visite qui l'avait dérangé. Son regard impitoyable comparait la surface peinte à l'image vivante qui s'était créée, dès sa première inspiration, au fond de sa pensée. La lumière agissait sur lui comme une symphonie. Il percevait en elle des flots d'harmonie qui se déversaient en gerbes, puis se regroupaient, se heurtaient à des obstacles, se laissaient absorber, mais resurgissaient triomphants, invincibles, dès que la toile leur offrait une surface favorable. Capricieuse lumière qui, avec une sûreté de touche infinie, savait choisir sans se tromper les couleurs dignes de la retenir! Toujours indivise, malgré sa dispersion en rayons par milliers, elle demeurait, au sortir d'errances aventureuses, fidèle aux lois inexorables qui la régissaient depuis sa naissance.
Le peintre aspirait avec une sorte de volupté l'atmosphère d'austérité sans laquelle l'art ne peut s'épanouir. Il retrouvait le goût âpre qu'apporte au créateur sa joie suprême, celle qui le pousse à se livrer à la réalisation de son oeuvre, entièrement, sans réserve, jusqu'à l'anéantissement. Bien qu'enchaîné à sa tâche, il se sentait en pleine liberté, car la liberté qui, d'essence sacrée, procure le suprême bonheur, ne consiste pas à s'abandonner aux caprices d'une imagination désordonnée, mais à maintenir dans de strictes limites les revendications excessives du Moi. Si l'artiste, en de rares instants, a conscience d'avoir atteint son accomplissement, c'est en ascète, au prix d'une obéissance absolue aux impératifs de la vérité.
Il offrait, ce peintre si maître de lui, une image paradoxale et attristante de l'humanité - mais n'en est-il pas ainsi de toute destinée? En effet, il ne pouvait admettre de travailler autrement que pour servir la vérité, sans aucune concession. Il posait comme condition première une concentration extrême de sa lucidité, doublée d'une logique implacable. Il fermait la porte de son atelier aux intrus qui s'appellent la fantaisie, l'amateurisme et l'à peu près. or, cet homme, intransigeant plus qu'aucun autre quand il s'agissait de son art, faisait, au contraire, sur le plan de la vie quotidienne, figure de piètre dilettante. Dans la course au bonheur, il arrivait bon dernier. Jamais il n'aurait permis qu'on exposât de lui un panneau ou une toile qu'il n'eût pas jugés réussis. Mais sa propre existence était-elle le reflet d'une réussite? Ces jours, ces années qu'il venait de vivre n'étaient qu'une suite d'échecs pesants, un boulet qu'il fallait traîner. Il avait tenté d'aimer et de vivre; il n'y était point parvenu.
Pages 135 - 136 - 137

"Veraguth parcourut à pas lents l'atelier, puis la chambre à coucher. Il sortit, longea les rives du lac, puis s'engagea dans les allées du parc. Il avait fait des centaines de fois des promenades de ce genre, mais aujourd'hui, tout avait un visage nouveau. Partout, il croyait entendre l'écho de la solitude. L'haleine du vent était froide, elle agitait, sur son passage, un feuillage qui déjà se teintait d'or et elle chassait les troupeaux de nuages ouatés qui, à mi-chemin entre le ciel et la terre, annonçaient de la pluie. Le peintre frissonna; cette fraîcheur imprévue le pénétrait. Il n'y avait désormais, à Rosshalde, personne dont il dût prendre soin ou dont la présence exigeât de lui certaines marques d'égards. [...] ... jamais il n'avait réussi à franchir le seuil au-delà duquel, dans le jardin d'amour, fleurissent les roses de la vie. Jamais il n'avait rencontré ni vécu un amour qui se fût imposé à lui avec toute son exigence - jamais encore avant ces derniers jours. C'est au chevet de son enfant [...] qu'il avait, beaucoup trop tard, hélas! compris ce qu'est un amour véritable. Pour la première fois, il avait oublié ses propres problèmes, il avait enfin dépassé les limites de son moi. Cette épreuve resterait pour toujours la grande aventure de sa vie, le pauvre trésor qu'il garderait pour lui seul."
Pages 277 - 278 - 279.

Hermann Hesse, in Rosshalde, éditions Calmann-Lévy, 2005.


Pour la première fois, une rétrospective présente à Berne l'oeuvre picturale de l'un des auteurs de langue allemande les plus lus dans le monde. Une facette essentielle pour comprendre l’évolution de Hesse en tant qu’individu, sa conception de l’art et son oeuvre littéraire.

Vision de rêve, décembre 1917, gouache

Arbre, maisons, 1922, aquarelle et graphite

Arbre, maisons, 1922, aquarelle et