vendredi 10 août 2012

Dire NON... à TOUT

Jeudi 9 août.
10 h.

J'écoute "Le cinéma de l'humeur" de Charles Sigel, il parle de Pasolini toute cette semaine sur Espace 2.


Pier Paolo Pasolini (1922-1975), écrivain et cinéaste italien. Paris, 1962. [AFP/Roger-Viollet]

Terminé hier La plage de Scheveningen. J'ai lu ici ou là quelques critiques de cet ouvrage, toutes élogieuses, "le meilleur roman" de Paul Gadenne. Oui, sans doute, une introspection sans concession sur le Bien et le Mal, un style "impeccable" comme dirait M. Onfray mais j'ose le dire, je n'ai pas éprouvé l'enthousiasme qui m'avait animé en lisant La rue profonde. Pourtant j'ai admiré de nombreuses pages de l'ouvrage, l'écriture, le style atteignent la perfection. J'en lirai donc un autre de cet auteur pour retrouver, peut-être, l'exaltation de ma première lecture. La plus belle analyse est ici.

"Paris 1944. Guillaume Arnoult recherche, après quatre ans de guerre, les traces d'Irène. Il la retrouve au moment où il apprend la condamnation à mort d'Hersent, journaliste politique, qu'il a connu familièrement pendant ses années de jeunesse...
Avant de rejoindre une unité combattante comme correspondant de guerre, il passe avec Irène une longue nuit au bord d'une plage du Nord. Ce n'est pas la plage de Scheveningen, mais la mer est là, près d'eux, dont la rumeur accompagne leurs angoisses, leurs souvenirs et l'obsession, surtout, du meurtre et de la trahison...
On ne refait pas le passé, mais après cette nuit-là, peut-être Guillaume et Irène sauront-ils mieux "où est la vie, et ce qui vaut la peine d'être vécu"."
4e de couverture.


"Mais de même qu'il n'arrivait pas à accorder cette image d'Hersent écrivain, ou celle d'Hersent amoureux, avec celle d'Hersent condamné à mort, pas davantage il ne les pouvait accorder avec celle d'Hersent antisémite, entraîné par une logique abusive, par un rationalisme  monstrueux. Non, il lui était impossible de rapporter ces images à un même homme. Ce qu'il aurait fallu, se disait-il, c'était supprimer le mauvais Hersent, et garder le bon, comme il aurait fallu garder la bonne Allemagne et supprimer la mauvaise, - chose difficile après tout quand on sait que les bons allemands et les mauvais sont souvent les mêmes. Pourtant l'imperfection des châtiments ne venait-elle pas de cette difficulté même de supprimer un être tout en le laissant vivre?"
Pages 141 - 142.

J'étais heureuse de l'avoir lu jusqu'au bout, pas seulement pour l'extrait ci-dessous, jouissif; je retrouvais là, le Gadenne qui m'avait fait jubiler!

"Ils étaient enfin arrivés, elle et lui, à se loger dans un compartiment, mais ils eurent bientôt à le regretter. S'il leur était agréable de s'asseoir autrement que sur des valises, il l'était moins de contempler leurs compagnons de voyage. Sans aucun doute ils étaient sur la bonne terre de France : des papiers gras étalés sur les genoux, leurs voisins jouaient du couteau, mastiquaient, se curaient les dents avec bruit. Cela donnait à Guillaume une nouvelle définition du Français : le Français est celui qui sait qu'un quart d'heure sans manger pourrait être mortel. Où ces gens avaient-ils trouvé ces oeufs, ces viandes, ce beurre dont on manquait depuis tant d'années? Le train était devenu en France un des lieux où les campagnes dégorgeaient leurs richesses. Les cris des coqs sur la terre enneigée, les appels rouillés des cloches venaient expirer là, sur ces banquettes tachées, parmi les claquements de langue, dans l'odeur de ces gens repliés sur eux-mêmes, digérant sur le lieu où ils avaient dormi, toutes fenêtres fermées, car le courant d'air est ce qu'on craint le plus après la faim. Tout cela dans un silence lugubre, où Guillaume et Irène sentaient leur âme devenir lourde dans leurs corps. Guillaume avait dans son sac quelques biscuits de chien et trois pommes, mais Irène prétendit, comme toujours, qu'elle ne pouvair rien avaler. Un homme gonflé de tartines, de beurre et de saucisson descendit, et ils poussèrent un soupir d'aise. Une grosse dame vint prendre sa place, munie d'un chat et d'une fillette qu'elle installa sur ses genoux. Un dialogue insipide s'éleva entre la grand-mère obèse et la fillette, qui ne devait prendre fin qu'avec leur séjour dans le train. Les demandes et les réponses étaient faites à voix haute, voix insolites au milieu du silence général, mais la sottise aime à parler haut. Aux questions fastidieuses de l'enfant, il était répondu avec une complaisance prolixe; ou bien l'on répétait la question sans y répondre, quand cela soulevait trop de problèmes; bientôt, se sentant de force, les voisins s'en mêlèrent, de sorte que l'infantilisme gagna peu à peu tout le compartiment. L'enfant ravie de son succès se mit alors à bécoter les chairs flasques qui s'offraient à elle sur le visage de la grand-mère. Guillaume se tournait avec sympathie vers le chat dont les yeux brillaient d'un calme mépris. Finalement, jugeant ce spectacle impossible, il consulta Irène du regard, et ils allèrent reprendre leur place dans le couloir."
Pages 305 - 306.

Paul Gadenne, in La plage de Scheveningen, Gallimard, collection L'imaginaire, 2009.

19 h.
J'ai retenu ce soir (cf.  Michel Onfray) :
"Albert Camus, nietzschéen de gauche."

Et aussi, (cf. A. Camus) :
 "Puisqu'on ne peut pas tout approuver, dire oui à tout au bien comme au mal, alors il faut dire non à tout" (L'Homme Révolté).  Il m'a convaincu.

"La fin du Bien et du Mal absolu n'empêchent pas un bon et un mauvais relatifs".
(On s'approche du thème de Paul Gadenne ci-dessus).

"Le suicide, seul problème philosophique...
A quoi bon vivre puisqu'il faut mourir...
Camus cherche à comprendre pourquoi il faut vivre une vie absurde?"
Mais aussi, a contrario :
" Noces montre une façon d’être au monde dans laquelle la partie se vit comme une jubilation d’être fragment du tout".
Camus, épicurien  :
« Il n’y a pas de honte à être heureux. Mais aujourd’hui l’imbécile est roi, et j’appelle imbécile celui qui a peur de jouir ».

C'était captivant cette conférence. Toujours sur France Culture. Et à lire ici.