jeudi 20 octobre 2011
Indignation
"Pour supporter jusqu’au bout le deuxième sermon du Dr Donehower , j’avais éprouvé la nécessité d’évoquer le souvenir d’un chant dont j’avais appris le rythme trépidant et les paroles martiales à l’école primaire quand la seconde guerre mondiale faisait rage et que le programme de nos rassemblements hebdomadaires, destinés à stimuler chez nous les vertus patriotiques, consistait à nous faire chanter à l’unisson les différents hymnes militaires : [...] ainsi que les hymnes du génie maritime et des bataillons féminins, les WAC. Nous chantions aussi ce qu’on nous avait dit être l’hymne national de nos alliés Chinois dans la guerre qu’avait déclenchée les Japonais. Les paroles étaient les suivantes :
Debout, vous qui refusez d’être mis sous le joug!
De notre chair, de notre sang
Nous bâtirons une nouvelle Grande Muraille!
Le peuple chinois connaît son plus grand danger.
L’indignation emplit le coeur de nos compatriotes.
Debout! Debout! Debout!
Tous les coeurs à l’unisson,
Bravons le feu de l’ennemi,
Marchons!
Bravons le feu de l’ennemi,
Marchons! Marchons! Marchons!
J’ai bien dû chanter cette strophe dans ma tête une cinquantaine de fois pendant le sermon du Dr Donehower, puis encore une cinquantaine de fois quand le choeur donnait son interprétation des hymnes chrétiens et, à chaque fois, je mettais tout particulièrement l’attention sur chacune des quatre syllabes qui, réunies, formaient le mot "indignation"."
Philip Roth, in Indignation, éditions Gallimard, 2010.
J'ai toujours un train de retard quand je lis les romans de Philip Roth mais je n'en ai peut-être que plus de plaisir. Sans doute lirais-je Le Rabaissement l'année prochaine... J'apprends ainsi à maîtriser mon impatience de lire un auteur que j'aime sans me précipiter.
Dans Indignation, que je viens de terminer, il a fait un break sur le sujet favori de ses derniers romans : le vieillissement. Cela me permet d'en faire un aussi, mes obsessions étant les siennes. Je dois avouer que j'ai été moins captivée par celui-ci. J'étais plus intéressée par son alter-ego Nathan Zuckerman, mais il l'a tué dans Exit, le fantôme!
La photo de couverture confirme que nous sommes dans les années cinquante:) (1951, seconde année de la guerre de Corée).
"Marcus, en s'éloignant de ses parents, va tenter sa chance dans une Amérique encore inconnue de lui, pleine d'embûches, de difficultés et de surprises.
Indignation, le vingt-neuvième roman de Philip Roth, propose une forme de roman d'apprentissage : c'est une histoire d'audace et de folie, d'erreurs et de tâtonnements, de résistance et de révélations, tant sur le plan sexuel qu'intellectuel [...]."
4e de couverture.
Je retrouverai certainement le Roth que j'aime dans Le Rabaissement.
On parle beaucoup d'indignation en ce moment, les indignés manifestent un peu partout dans le monde. Le mini livre (oserais-je dire, la brochure, hum!) de Stéphane Hessel, Indignez-vous !, s'est mû en pavé.
Sur le sujet, je relève ceci dans un billet de Frédéric Ferney, où il est question de François Mauriac :
"Il me semble, en tous cas, en le relisant, que les rognes, les colères, les indignations de Mauriac n’ont rien perdu de leur actualité. Indignation : « sentiment de colère que soulève une action qui heurte la conscience morale, le sentiment de la justice ». Après le livre-manifeste de Stéphane Hessel, « Indignez-vous ! » (suivi de la « Lettre à tous les résignés et indignés » de sainte Opportune alias Ségolène Royal), le mot est à la mode. D’ailleurs, lui, Mauriac, ne l’aime pas trop, ce mot : « On s’indignera peut-être que je m’indigne si peu, écrit-il. C’est que la férocité des hommes a perdu le pouvoir de m’étonner ». C’est pourtant ce qu’il fait, à chaud, presque chaque jour, pendant plus de 30 ans, jusqu’à sa mort, à 85 ans (en 1970). Dans son journal, il ne nous parle pas tant de ses goûts (qui ne sont pas forcément les nôtres) que de ses craintes et de ses démons (qu’on peut aussi ne pas partager)."
Je me sens plus proche de Mauriac que de Hessel.