lundi 10 octobre 2011

Virginia et Vita


Vita Sackville-West par Philip Alexius de Laszlo (1910)



Crédits photo: Ed.Stock-La Cosmopolite

Virginia Woolf et Vita Sackville-West
eurent une liaison passionnelle et avant-gardiste
et une Correspondance qui dura vingt ans
jusqu'à la mort de Virginia, le 28 mars 1941.

Jeudi 10 octobre 1940.


"Les idées jaillissent assez bien car j'ai passé une journée d'oisiveté, une journée sans écrire - quel soulagement de s'arrêter de temps à autre! - une journée de discussion avec Vita. De quoi avons-nous parlé? Oh! de la guerre, des bombes, de telle maison endommagée, de telle autre qui ne l'est pas, de l'attaque de Ben, et puis de nos livres - tout cela de façon très ample, détendue, et parfaitement satisfaisante. Elle a une emprise sur la vie : elle connaît les plantes, leurs corps comme leurs esprits; déjeune à la table du prince Bernhart, se trompe de personne en faisant sa révérence... "Je suis Robert d'Autriche." Fait la vaisselle avec R. et A. Se montre en général détendue, expansive et totalement dépourvue de cette odeur d'arrière-cuisine qui se dégage des artistes médiocres - si perceptible chez Helen. Ouverte, tolérante et modeste, elle mène d'une main souple les multiples rênes de son attelage : ses fils, Harold, le jardin, la ferme. En outre, pleine d'humour, elle est profondément, je veux dire maladroitement et tacitement, affectueuse. Je suis ravie que notre amitié ait si bien résisté aux intempéries. Elle nous a emmenés à Lewes dans son auto. Violent orage. Voiture incommodée. La sirène a retentit au moment où nous la quittions à une intersection. Après un dernier signe de la main, elle s'est éloignée au volant de son auto, vêtue de ses jambières, de son manteau de velours brun et de son chemisier jaune, sa silhouette devenue, diraient j'imagine certains, un peu lourde et négligée; les yeux sont un peu moins brillants, les joues distendues. Mais elle-même se souciant si peu de ces choses que tout cela était sans importance. Nous sommes donc rentrés à pied à la maison par le marais. Ah! comme nous sommes libres et tranquilles! Nous n'attendons aucune visite. Pas de domestiques. Dînons à l'heure qu'il nous plaît. Menons une existence frugale. Je crois que nous sommes assez bien parvenus à maîtriser notre vie."

Virginia Woolf, in Journal intégral 1915-1941.