"L’œuvre aborde la question essentielle de toute réflexion
sur l'homme : cet événement à la fois banal et scandaleux par lequel toute
existence s'abîme dans le mystère. La vie, «parenthèse de rêverie dans la rhapsodie
universelle», n'est peut-être qu'une «mélodie éphémère» découpée dans l'infini
de la mort. Ce qui ne veut pas dire qu'elle soit insignifiante ou vaine, car le
fait d'avoir vécu cette vie éphémère reste un fait éternel, que ni la mort ni
le désespoir ne peuvent réduire à néant."
« L’homme
finit par mourir à force de vieillir. Et pourtant, la mort, si elle est le
terminus de la décrépitude sénile n’en est pas, à la lettre, la conclusion,
puisqu’on peut rester décrépi très longtemps sans mourir et, mourir bien avant
d’être décrépi. Le cœur cesse de battre parce qu’il est délabré et il cesse aussi
de battre en dehors de tout délabrement ; en sorte que personne ne meurt à
proprement parler de vieillesse. Et de la même manière, la goutte d’eau qui
fait déborder le vase est une goutte comme toutes les gouttes, et en même temps,
ce n’est pas une goutte comme les autres gouttes puisqu’elle détermine un
élément nouveau. Elle est, la goutte critique et décisive sans laquelle le
débordement ne se serait peut-être jamais produit ; cette dernière goutte
qui s’ajoute aux autres et même se confond avec elles, n’est pas simplement le
degré maximal d’une action homogène et continue. La dernière goutte a donc
toute l’importance et toute la solennité du dernier instant. Le dernier instant
en effet est un instant comme les autres, et ce n’est pas un instant comme les
autres ; c’est un instant indiscernable des autres et aucune horloge ne le
signale particulièrement à notre attention. Mais, d’autre part, cette minute
finale - que rien ne distingue des précédentes – est une minute tout à fait à
part et, si l’on peut dire, une minute privilégiée, et il faut bien que cet
instant ait quelque chose de particulier puisque nous l’appelons : l’instant
suprême. Il n’est rien de plus que les autres et il est infiniment plus. »
C'est le paradoxe
de l’instant mortel qui est à la fois continuité et discontinuité...
Ce qui donne un sens à notre vie c'est qu'elle est "bornée" par la mort. Le livre de Jankélévitch est un livre sur la vie. La vie prend un sens à partir de la mort et la présence de la mort donne son rythme passionnel. "La tonicité de la vie, disait-il, prend ses racines dans le non-être. En dehors de la foi religieuse, le mystère serait parfaitement obscur."
Ce qui donne un sens à notre vie c'est qu'elle est "bornée" par la mort. Le livre de Jankélévitch est un livre sur la vie. La vie prend un sens à partir de la mort et la présence de la mort donne son rythme passionnel. "La tonicité de la vie, disait-il, prend ses racines dans le non-être. En dehors de la foi religieuse, le mystère serait parfaitement obscur."
Vladimir Jankélévitch (1903-1985) est le philosophe de la vie.
Et, à écouter : Jankélévitch la mort ou l'expérience de l'impensable.
Extrait lu par Raphaël Enthoven :
« Dès qu’un homme est né il est assez vieux pour mourir.
La mort dit Jankélévitch, c’est la maladie des malades, et des bien-portants. Quand
on n’est pas malade on est encore quelqu’un qui peut, et doit mourir. Mais si
une chose est de savoir : je suis comme tout le monde un mort en sursis,
toute autre est d’en prendre conscience. Pas un seul, des quelques cent
milliards d’humains qui ont traversé l’existence, n’a échappé à une loi qui
pourtant demeure à jamais une expérience inédite, surprenante, singulière. Certes,
tout le monde doit mourir mais moi, moi je ne suis pas tout le monde, l’individu
que je suis n’est pas soluble, dans cette arithmétique abstraite. En vérité, moi qui vis, je suis de part en part compris par
la mort mais je ne la comprends pas. La mort est un secret de polichinelle qui
nous surprend sans être surprenant. D’ailleurs, devant un cercueil, les hommes
se conduisent souvent comme si le mort n’avait pas eu de chance, comme si ce
qui lui arrive était un malheur, nullement applicable à eux-mêmes. Bref, la mort a beau être l’affaire de tous, c’est d’abord
le problème de chacun. Et ce n’est pas parce que tous les hommes en général
sont mortels que je ne le suis pas moi-même. Ce n’est pas parce que je sais
dans l’absolu que je vais mourir, que je suis dispensé ici et maintenant de le croire, de le comprendre et enfin de le
vivre. La mortalité impersonnelle du genre humain est un pagne, un paravent
paradoxal derrière lequel se cache la mort propre, intime, de chaque individu. Tout le monde est le premier à mourir rappelle Ionesco. Autrement
dit ce qu’on sait déjà, on le découvre toujours, mais à l’heure d’y passer, ce
qu’on connaissait du bout de la pensée voici qu’on le comprend avec l’âme toute
entière. Comme l’amour, la mort est toujours jeune. Mais l’amour est ineffable
et la mort est indicible. On ne peut pas parler de la mort mais on peut parler autour
d’elle. »