vendredi 1 février 2013

On ne vit bien que dans l'ombre

Marcel Jouhandeau, 1888-1979

Je n'ai rien lu de Marcel Jouhandeau, j'ai tout à apprendre sur cet écrivain, sa vie, son oeuvre.
J'ai emprunté à la bibliothèque Chronique d'une passion, attirée par le titre.
En 4e de couverture je lis :

"Chronique amoureuse que Jouhandeau avait d'abord publiée dans une édition confidentielle en 1938. Il fallut attendre 1964 pour qu'il la laisse paraître en édition courante.
Plus que jamais, dans ce livre, il se montre un écrivain de la passion. Son écriture a l'élégance de la glace et du feu; impatience, cynisme, tendresse, violence, profondeur, humour : ces divers états d'âme se fondent en un seul, miracle d'une éternelle adolescence du coeur et du corps."

J'ai pêché des informations sur Wikipédia, personnage ambigu, antisémite, ce dont il se défendra plus tard et on apprendra que  c'est Élise, sa femme, l'"antisémite forcenée".
"Élise meurt en 1971. Ce couple infernal occupe une place importante dans l'œuvre. Atteint de cécité, Jouhandeau cesse d'écrire en 1974.
À la fin de sa vie il assumera son homosexualité. Il en parle ouvertement dans divers ouvrages comme Chronique d'une passion, Du pur amour, Tirésias."

Ensuite j'ai écouté la Radioscopie de Jacques Chancel du :

08/09/1976 - 56min42s (extrait de quelques minutes ici)

"Marcel JOUHANDEAU, écrivain : se sent heureux, parle de ses parents, est âgé de 89 ans, comment il vit la vieillesse, évoque les souvenirs avec ses amis, sa femme, vit à l'écart au calme, sa philosophie, la sagesse, a fait le tour de sa vie. Dit n'avoir aucune imagination pour l'écriture, joue de l'orgue. Son prochain livre et les critiques de Claude GALLIMARD lui disant que ses livres ne se vendent plus, la postérité lui importe peu, les gens qu'il a blessés à travers ses écrits. Sa foi catholique, la qualité des écrivains du XVIIème siècle, propos sur la vieillesse, parle de l'enfant qu'il a adopté, la rancoeur de la ville de Guéret contre ses écrits, a été atteint par la mort de Paul MORAND et celle d'Henry de MONTHERLANT, sa rencontre avec André Gide, anecdote sur André MAUROIS, Max JACOB, comment il a connu Louis-Ferdinand CÉLINE, regarde le monde avec stupeur."

Puis l'interview de Bernard Pivot dans Apostrophes
 22/12/1978 - 01h00min02s (extrait ici)

"Numéro spécial d'Apostrophes, entièrement consacrée à Marcel JOUHANDEAU qui vient de fêter ses 90 ans. Devenu aveugle, il ne peut plus lire ni écrire, mais accepte cette situation avec sérénité. Bernard PIVOT s'entretient avec l'écrivain, chez lui. Marcel JOUHANDEAU évoque sa vie. Pivot insiste sur son homosexualité, des rapports terribles avec sa femme Élise, "les scènes de ménage, oh c'était délicieux, des écrivains qu'il a rencontré. Bernard PIVOT parle de la beauté de son style et cite des extraits de "Chaminadour" et de "Le gourdin d'Elise". La question du réel et de l'invention : "L'imagination ne me plaît pas, c'est une faculté pour laquelle je n'ai pas de respect". A la fin de l'émission Marcel JOUHANDEAU parle du livre qu'il considère comme son meilleur, une "Réflexion sur la vieillesse et la mort"."

Il faut consacrer un peu de temps pour les visionner (une heure chaque entretien et il faut être abonné  à l'INA pour voir l'intégralité mais ça vaut le coup).

J'ai trouvé cette autre vidéo sur la rts (radio télévision suisse) : "Les Jouhandeau" qui ne dure que 18 minutes, du 17 janvier 1963 et qui mérite vraiment qu'on prenne le temps de s'y attarder; non seulement l'écrivain y est interviewé mais également Élise, sa femme. Exceptionnel en effet ce document. J'oserai dire qu'entre ces deux êtres, s'il y a de l'amour, c'est de l'amour... vache :

"Ce reportage de l'émission Préfaces constitue un document exceptionnel. En effet, il entre dans l'intimité du décrié écrivain français Marcel Jouhandeau. Célèbre tant pour ses écrits que pour ses rapports tumultueux avec sa femme Élise qu'il rencontra dans les années 20 et qu'il épousa, malgré son homosexualité."

"Un être comblé par l'existence ne m'intéresse pas".
"On ne vit bien que dans l'ombre". (Tiens, j'entends mon père! Enfin non, lui disait souvent : pour vivre heureux vivons caché; ce n'est pas tout à fait la même chose).
"Ma réussite c'est d'être arrivé à me connaître et à n'être rien".

Marcel Jouhandeau se revendique comme chroniqueur et surtout pas romancier. "La réalité, la vérité" voilà ce qui lui importe. Mais je n'en sais pas assez car l'oeuvre est importante et mériterait sans doute que je ne m'en tienne pas qu'à un seul ouvrage.

"L'amour n'est qu'une occasion pour un orage d'éclater : Ivre et inassouvi, on n'étreint jamais que l'ombre de ce qu'on croit tenir : aussi, peu importe le simulacre, pourvu qu'on lui donne les noms les plus doux tour à tour ou les plus cruels .
Il suffit de ne pas oublier que chacun est seul avec son Désir, dont l'Objet est inaccessible. Caresse au moins ta Chimère, sans le secours de personne; elle n'est qu'en toi".
Page 15

"Le coeur malade, comment songer au plaisir? L'amour seul rend délicat tout ce qu'on peut souhaiter. Encore une fois, cependant, ce n'est pas l'amour qui m'attire au premier chef dans l'amour, mais quelque chose d'indicible et de pur, d'infini et de parfait que je finirai bien par y capter et par définir.

Ne m'attache que cet état sublime qui participe à la fois de la Sainteté et de la Damnation, où nous jette la Passion seule, à partir d'un certain degré, quand elle nous délivre de tout, de Dieu, du Monde et de nous-même, pour nous enchaîner absolument et à jamais à un seul être."
Page 26