Pierre-Auguste Renoir, Jeune fille pensive...
Chère mademoiselle,
J’ai bien reçu vos deux lettres de mars où vous vous plaignez de mon silence, et vos deux lettres d’avril où vous vous offrez à moi. Vous voyez que je vous ai lue et si j’ai bien compris vous souhaitez de vous donner à moi.
Laissez-moi vous dire chère mademoiselle que cette idée ne me paraît pas heureuse. J’ai une physiologie un peu particulière. Je ne désire :
a) Que des filles âgées de moins de vingt deux ans.
b) Que des filles passives, végétales.
c) Que des personnes longues et minces, avec le cheveu couleur aile de corbeau.
Vous voyez que vous n’êtes pas du tout dans les conditions requises et qui sont absolument sine qua non. Quels que soient vos attraits sur lesquels je ne m’étendrai pas, vous les connaissez trop bien, je ne me sens pas capable de répondre à un désir pourtant si honorable pour moi. La nature, la misérable, resterait sourde à mes appels et comme on dit : on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Je vous mets en garde aussi contre votre croyance au pouvoir du désir et de la volonté, vous savez mon opinion sur la maladresse des femmes, une de ces maladresses me paraît être leur foi dans l’efficacité de l’insistance. Je ne doute pas qu’il y ait des hommes avec lesquels cela réussisse, mais je suis de l’espèce opposée et je vous dis : non, jamais !
Allons, courage, croyez bien que je suis de grand cœur avec vous dans votre épreuve mais, aussi pourquoi vous acharner sur moi quand le monde est plein de messieurs à multiples avantages dont vous feriez le bonheur. Vous battez contre moi comme un oiseau contre la vitre d’un phare. Vous ne briserez pas cette vitre, vous vous briserez contre elle et vous tomberez au pied du phare.
Au revoir chère mademoiselle. Vous me conserverez votre amitié n’est-ce pas, sans rancune, vous savez que je suis voué à ce qu’on me pardonne tout.
Bien à vous.
P.S.- Vous n’avez pas affranchi suffisamment votre dernière lettre, c’est la quatrième fois au moins que ça vous arrive et cela est fatal, avec les feuillets compacts que vous m’envoyez. Ainsi je dois payer une surtaxe exorbitante, vous devriez acheter un pèse-lettre.
Henry de Montherlant, in Les Jeunes Filles. (Lettre de Pierre Costals à Andrée Hacquebaut)
Lettre lue par Philippe Petit au cours de l'émission les NCC la semaine dernière consacrée à Simone de Beauvoir et, ce jour-là, à son essai : Le deuxième sexe. Dans cet ouvrage Simone de Beauvoir s'en délecte de cette lettre. C'est à mourir de rire. Quelle femme n'a jamais rencontré un Pierre Costals? A fuir de toute urgence! J'étais une très jeune fille lorsque j'ai lu Les Jeunes Filles de Montherlant, je m'en suis régalée, c'est jubilatoire, comme cette lettre!
"Montherlant et les femmes.
On a aussi montré que d’innombrables femmes s’éprirent passionnément de cet « ennemi des femmes », qualifié de misogyne affichant un « goût pour les valeurs viriles et fraternelles » par l'Académie française. Force est de constater que s'il les avait réellement détestées, il aurait coupé court au plus vite. Au contraire, toutes ces femmes restèrent en contact avec lui durant vingt, trente ans. Il recevait d’elles de nombreux courriers, sortait avec elles, les aidait à rencontrer éditeurs et imprimeurs, allait au concert, au restaurant ou se promenait en leur compagnie dans Paris ou en province telles que Elisabeth Zehrfuss, Jeanne Sandelion, Alice Poirier, la Comtesse Govone et Banin. Il ne faut pas oublier ses voyages avec la poétesse Mathilde Pomès et avec la professeur et critique Marguerite Lauze. C’est cette dernière, qui fut sa compagne durant trente ans, qui fut désignée comme son unique héritière (avec son fils J-C Barat) depuis 1952. Il existe également des témoignages selon lesquels Montherlant aurait eu deux fils.
Montherlant analysera la psychologie féminine dans les quatre romans qui forment le cycle romanesque des Jeunes Filles et qui seront vendus à des millions d'exemplaires, grâce au public féminin."
(Source Wikipédia)