Le plaisir des promenades solitaires est incomparable.
Impossible d'apprécier un paysage, de s'attarder sur un canard qui va au fil de l'eau, de se réjouir de la perfection de l'alignement de ces barques sur un ponton au milieu de l'étang, d'entendre le ruisseau qui coule sous le petit pont ou le gazouillis des oiseaux, de regarder le ciel, quand, tout au long de la promenade, elle marchait à mes côtés sans rien voir, dans un débit de paroles soûlant où il était question de tout ce qu'elle avait regardé à la télé ces derniers jours. Je m'arrêtais un instant pour lui faire voir le morceau d'arc-en-ciel qui venait de colorer le ciel anthracite, elle leva son nez trente secondes puis repartit dans son sujet favori : les émissions de télé où les couples viennent parler de leur quotidien.
- Tu devrais regarder l'émission me dit-elle (j'ai oublié le nom de l'émission dont elle me parlait, je m'en fichais complètement).
A ce moment-là j'observais une mouette qui atterrissait sur l'étang en faisant une glissade très gracieuse, puis elle s'immobilisa, j'aperçus alors ses pattes palmées qui pédalaient sous l'eau.
Je ne lui en voulais pas d'être insensible à la nature, comme je ne lui en voulais pas de ne pas aimer la musique classique. J'ai remarqué que ces désintérêts vont souvent de pair. En revanche je m'en voulais un peu de ne pas arriver à m'intéresser à ce qu'elle me racontait parce que, je l'aimais tout de même; je la trouvais émouvante mon aînée de huit ans. Quelle importance qu'elle n'aimât pas la nature et la musique; elle avait l'air heureuse de se promener avec moi, je lui importais plus que ce qui nous environnait j'en suis sûre et ça c'était beau, plus beau que l'arc-en-ciel.
Quand je me promène seule je m'imprègne de ce que je vois, de ce que j'entends, parfois du silence; il m'arrive alors d'entendre une musique. Je respire l'air, le vent, la liberté.