Crève-moi les yeux et je pourrai te voir encore,
Crève-moi le tympan et je pourrai t'entendre encore.
Sans pieds, je puis aller vers toi.
Sans langue, je puis t'évoquer à volonté.
Arrache-moi les bras, je puis t'étreindre
Et te saisir avec mon coeur comme avec une main,
Arrête mon coeur, mon cerveau battra aussi fidèlement,
Et si tu mets en feu mon cerveau,
Alors dans mon sang je te porterai.
Rainer Maria Rilke, extrait du Livre d'Heures* (1894-1906).
* R.M.R., Sämtliche Werke, I, p. 313.
"Lou Andreas-Salomé fut émue par la splendeur mystique de ce poème, qu'il lui donna, dit-elle, en gage de son amour."