lundi 23 mai 2016

Il n'y a que l'amour et la solitude qui comptent

"La philosophie n'a aucune importance. Les romans n'ont aucune importance. Il n'y a que l'amitié qui compte; il n'y a que l'amour qui compte. Disons mieux : il n'y a que l'amour et la solitude qui comptent. Mieux encore : il n'y a que la vie qui compte. Les livres en font partie bien sûr, et c'est ce qui les sauve. Mais la vie n'en continue pas moins... Les livres en font partie; comment pourraient-ils la contenir? Ils en parlent; comment pourraient-ils en tenir lieu? Tout au plus  peuvent-ils dire la vérité de ce que nous vivons, cette vérité qui n'est pas dans les livres ou qui ne peut être que parce qu'elle est d'abord dans notre vie. Vérité de la souffrance et de la joie, du courage et de la fatigue, vérité de la solitude... A quoi bon autrement la philosophie? A quoi bon la littérature? Et sans l'amour, à quoi bon vivre? [...] "Comme nous sommes seuls! Comme la vie est triste!*" L'amour naît là pourtant, et la joie, la seule vraie joie, qui est d'aimer. C'est ce que j'ai lu chez Spinoza, et que la vie m'a confirmé. Toutes les occurrences les plus ordinaires de la vie sont vaines et futiles, et il n'y a que l'amour qui soit extraordinaire. Quand on arrive à aimer, et cela arrive malgré tout. Au moins un peu, au moins parfois, même mal, même petitement, même tristement... La question n'est pas de savoir si la vie est belle ou tragique, dérisoire ou sublime (elle est l'un et l'autre, évidemment), mais si nous sommes capables de l'aimer telle qu'elle est, c'est-à-dire de l'aimer. Cela laisse à la littérature sa place, qui n'est ni la première ni la dernière. Les livres ne valent qu'autant qu'ils apprennent à aimer; c'est pourquoi quelques chefs-d’œuvre sont irremplaçables, et c'est pourquoi tant de livres ne valent rien - et les romans d'amour, sauf exception, moins encore! "C'est du roman", dit-on parfois, pour dire : c'est un tissu d'âneries et de mensonges. Eh bien oui, la plupart des romans ne sont que du roman. J'ai mieux à faire : j'ai mieux à vivre. Le plus urgent, c'est de cesser de se mentir. La vraie vie, ce n'est pas la littérature : la vraie vie, c'est la vie vraie."
* Jules Laforgue.
André Comte-Sponville, in L'Amour la solitude. Entretiens avec Patrick Vighetti, Judith Brouste, Charles Juliet. Éditions Albin Michel, 2000.

Je n'avais pas encore commencé ce blog, le 27 mars 2009, date à laquelle André Comte-Sponville m'a dédicacé cet ouvrage (collection Poche). Il était venu à Quimper faire une conférence sur le thème : "Peut-on se passer de religion? Vers une spiritualité sans Dieu."
"Lui-même se définit comme « athée fidèle ». Il se positionne plus précisément comme « athée non dogmatique et fidèle » : « athée » car il ne croit en aucun dieu, « non dogmatique » car il intègre le fait que l'athéisme est une croyance et non pas un savoir, « fidèle » car restant attaché à un certain nombre de valeurs morales, culturelles et spirituelles, tronc commun de l'humanité, transmises historiquement par les grandes religions."
J'ai commencé mon blog le 29 août 2009 (bientôt sept ans. 7 est mon chiffre préféré) et le libellé s'est imposé, sans que j'y réfléchisse, comme on pourrait dire parce que c'étaient eux, parce que c'était moi : Solitude mon Amour. Je peux dire aujourd'hui que ces deux mots auront été les plus prégnants de ma vie. Ce ne sont que des mots et des êtres.

Oui, l'important c'est d'aimer, c'est ce qui nous anime; être inanimé c'est être presque mort.  Je ne pense pas que "les livres apprennent à aimer". Je préfère "l'enseignement" de Christian Bobin dans La lumière du monde  : "Aimer quelqu'un, c'est le lire. C'est savoir lire toutes les phrases qui sont dans le cœur de l'autre, [...]". (C'est drôle, j'écris cette phrase de Bobin en regardant César et Rosalie (que je connais par cœur) et ce trio magnifique, Romy Schneider, Yves Montand, Sami Frey. "César sera toujours César et toi David tu seras toujours David". Elle aime les deux et les deux aiment Rosalie. L'amour, l'amour, l'amour. La vie. La vie. La vie. La vie sans amour, il n'y a rien de plus triste. Solitude mon Amour.).