Il y a des êtres que vous n'avez connu que peu de temps et qui ressurgissent dans votre mémoire aussi vivement que si vous les aviez vu la veille.
J'écoutais ce matin dans les NCC* l'analyse de l’Émile de Jean-Jacques Rousseau et c'est elle que je revoie, cette jeune fille - j'étais alors en internat dans un lycée - dans la salle d'études, plongée chaque soir dans cet ouvrage. Elle était petite, les cheveux courts, bruns, touffus, frisés avec un visage joufflu, généreux, des yeux rieurs. Rien n'aurait pu la distraire de sa lecture. Plus tard elle entamera d'autres ouvrages, d'auteurs que nous étudiions ou pas. Je l'admirai, je trouvai ses lectures plus pointues que les miennes; je m'initiai alors à Simone de Beauvoir avec Les mémoires d'une jeune fille rangée.
Nous poursuivions les mêmes études, pas du tout littéraires mais c'était la première année où nous avions des cours de philosophie.
Un jour j'osais lui demander si cet Émile était intéressant. Je me souviens de ses joues roses qui s'enflammèrent en m'en parlant. Ensuite nous avons souvent parlé des livres que nous aimions.
Je n'en suis pas sûre mais je crois qu'elle s'appelait Suzanne.
Nous portions des blouses obligatoires; sur cette photo elle a les mains dans les poches, elle ferme les yeux et sourit. Je me demande si elle ne pensait pas à Emile en cet instant en se disant : je suis Sophie?
(Cliquer pour agrandir. Hum!)
* Toute la semaine dans les NCC est consacrée aux "Sophie" dans la littérature.