jeudi 11 juillet 2013

Chaque je est une outrecuidance (Robert Walser)

Résumons ce pauvre Journal qui se délite au fil du temps... et qui va finir par sentir le merlan pourri.
... J'achète tout de suite du poisson comme celui-là.

Moi donc, Je, devais partir le 1er juin à Evian. Contretemps - le mot est faible - escapade annulée et qui - je le pense - ne sera jamais reportée. Vertiges...
Nouvelle option, dernière semaine de juin, cette fois satisfaite mais sans grande satisfaction, à Saint-Palais-sur-Mer.
Un retour sans nostalgie, bien au contraire, au sweet home en écoutant sur la route une de mes émissions favorites du dimanche : Le Gai savoir il était question de philosophie bien sûr et, en cet instant,  de la différence (et de la similitude) entre le « bonheur et la joie ». Ça tombait bien et c’était jouissif. Et là je me suis dit qu’être seule chez moi était bien plus supportable qu’être seule parmi les autres. Je sentais que j'allais retrouver mon rythme, mon quotidien, mes lectures, mes émissions, ma lenteur, que c'était là ma vie et que j'étais bien mieux dans ce quotidien qu'à arpenter des trottoirs à touristes, en essayant de les éviter et en y parvenant, malgré tout.

Début juillet : mes vertiges semblent n'être plus qu'un mauvais souvenir, attendons les prochains tests pour savoir ce qu'il en est exactement.
J'ai terminé mes lectures en cours de Christian Oster : Sur la dune et Trois hommes seuls, éditions de Minuit. Je ne saurai dire à quel point  je me sens proche de ses "vagabondages" romanesques.
Repris le golf, tout doucement, à l'heure où le parcours est désert.

L'été tant attendu est donc là. Je reste à l'ombre, merci le carcinome. Pfff!

Hier matin, médiathèque. Après avoir entendu Linda Lê, passionnante - une inconnue pour moi - dans l'émission de Laure Adler Hors-Champs, j'ai eu très envie de lire Lame de fond.  Il était emprunté et je l'ai réservé. En attendant j'ai trouvé du même auteur deux essais : Le complexe de Caliban et Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau (un titre qui m'enthousiasme! et qui semble inspiré par Baudelaire), aux éditions Christian Bourgois,

"En entremêlant des confidences sur la lecture et des extraits de livres – ceux de Stevenson, d’Hugo, de Walser, de Salinger, pour ne citer qu’eux -, Linda Lê invite à une exploration de ces étranges contrées où l’on s’avance à la rencontre des fantômes, des doubles, pour tirer de ces flâneries sur les rives de l’imaginaire matière à rêverie et à méditation. Livres de chevet, livres dans lesquels on cherche sa raison d’être, livres qui posent l’énigme de la présence au monde : par leur truchement, la lectrice tente de dire l’importance vitale que revêt la littérature et la foi en la possibilité de trouver un texte qui sèmerait le doute et laisserait l’esprit intranquille."
Source France Culture, Le complexe de Caliban.

"Lire c’est être lu par ce que nous lisons. La lecture est le temps dérobé à la mort. Le livre peut être le compagnon le plus secret, celui qui a des pouvoirs démiurgiques. Des lectures d’enfance aux œuvres qui ont fait de l’auteur de cet essai celle qu’elle est, Le Complexe de Caliban retrace un parcours où le Je me souviens nostalgique est une manière d’être au monde. Interrogation sur la langue, sur l’identité et sur la place qu’occupe aujourd’hui la littérature, ce livre est aussi un hommage, des exercices d’admiration dédiés aux chers disparus." 
4e de couverture, Le complexe de Caliban.

Je suis impatiente de les lire.

« Écrire, c'est aussi reconnaître sa dette d'amour envers ceux que René Char appelle les alliés substantiels, c'est lire des épitaphes cryptées, aborder des îlots de solitude, déserter l'ici et maintenant en glissant sur des luges de nuit pour gagner les frontières de l'invisible avec comme guides des émissaires de l'autre côté. Ces pages, roman d'une lectrice, sont des hommages aux maquisards qui ont fait oeuvre délictueuse, s'assignant le but de renverser les normes, de lancer des brûlots au flanc de l'académisme, d'exorciser les peurs et de proposer au lecteur un voyage où il se débarrassera de sa pusillanimité, de ses préjugés, et se laissera emporter par une bourrasque vers des territoires inconnus. »
4e de couverture, Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau .

Hier soir, la chaleur étouffante de mon appartement m'a fait prendre le large et dîner sur la côte. C'était délicieux de sentir le vent, chaud et pourtant rafraîchissant. Près de ma table, une vieille dame, disons plus âgée que moi, mmm! assez classe, s'est installée seule, avec son caniche. Lorsque le serveur est venu prendre sa commande elle lui a dit qu'elle attendrait son invité pour passer la commande. Quelques minutes plus tard, l'invité est arrivé, un jeune homme très bronzé, cheveux longs remplis de sel, l'allure sportive. J'ai cru comprendre qu'elle était la grand-mère de ce jeune garçon. Elle lui a demandé des nouvelles de la famille, de ses études, lui a montré des photos puis elle lui a parlé des spectacles qu'elle avait vus et, notamment d'opéra. Puis il a pris la parole à son tour. Ce n'était pas une conversation banale... A ce moment-là, une pensée - très fugace - me fit regretter de ne pas être grand-mère...



Aujourd'hui, cet après-midi, pendant qu'un courageux (que je payais tout de même) nettoyait ma terrasse sous un soleil de plomb, je commençais la lecture de Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau, première page, premier paragraphe, en exergue à l'ouvrage :

"Michel Leiris, dans Biffures, parle de l'indéniable plaisir qu'il avait à posséder des livres, satisfaction à laquelle s'ajoutait toujours une part de gêne devant les choses non lues qui tapissaient ses cloisons. Les laissés-pour-compte de nos bibliothèques gémissent, les livres de chevet sont des raretés encore à décrypter. N'empêche, nous continuons à écumer les librairies, passons le plus de temps possible à nous pénétrer des aperçus d'autrui, espérant beaucoup de ceux que René Char appelle les alliés substantiels, et tenant pour assuré que l'art est ce qu'il y a de plus réel, dès lors que nous mettons entre parenthèses notre non-croyance pour entrer de plain-pied dans un monde qui s'impose avec force. Ce sont ces alliés substantiels, dont l'absence ferait souffrir, qui viennent ici toquer à la vitre de l'homo lisens afin de l'accompagner le long d'un chemin hérissé d'obstacles, s'il sait, dirait Baudelaire, plonger au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau."

Puis commence le premier chapitre :

"Chaque je est une outrecuidance 

J'étais à Zurich pour une soirée de lecture. J'errais dans la vieille ville en me remémorant ce texte de Robert Walser où un organisateur de conférences conseille au poète invité d'apprendre d'abord l'allemand avant de se mêler de faire des vers. Dans quelques heures, pensais-je, on allait m'enjoindre, moi aussi, d'étudier le français avant de me poser en scribouilleuse. J'en étais là de mes ruminations quand mes pas me menèrent à une rue si petite qu'elle ressemblait à un couloir d'immeuble. Je levai les yeux vers la plaque : c'était la rue Robert-Walser. Elle correspondait à l'idée qu'on se fait du pensionnaire d'Herisau. Humble, dissimulée, elle semblait suggérer au curieux de ne lui prêter aucune attention. [...] Lui-même ne se serait jamais réjoui qu'une rue portât son nom - la notoriété n'aurait été qu'un désagrément pour ce taiseux peu liant, qui aurait pu dire, comme le photographe Saul Leiter, qu'être ignoré est un grand privilège."

Je crois avoir fait un bon choix!

"Dans une langue très recherchée, aussi ­cérébrale qu'enivrante, Linda Lê parvient à restituer le plaisir physique que procure toute incursion livresque. La lire offre une exaltation aussi joyeuse que celle qu'elle décrit. Elle excelle à saisir ce basculement intime, cet instant de métamorphose que connaît tout lecteur assidu. L'exact contraire d'un mouvement de fuite : juste l'acceptation de soi."
Marine Landrot, Télérama.

Allez, vite au lit pour lire la suite...