dimanche 1 août 2010

Si peu d'endroits confortables

"L’amour se cache dans les gares.
[…]
Là, chez ceux qui se retrouvent.
Les gares sont pleines de gens qui s’aiment, que la vie a séparé, et qui se retrouvent là, sur le quai.
Alors, c’est très joli à voir, ils se prennent dans les bras. Ils lâchent toutes leurs affaires pour se serrer fort dans les bras et j’imagine des histoires. Ceux-là ne se sont pas vus pendant cinq ans. Ceux-là se voient pour la première fois après s’être séduits sur internet.

Il y a ceux qui se précipitent pour porter les bagages de celui qui arrive, et celui qui arrive fait semblant d’être fatigué pour faire plaisir.
Ceux qui se serrent longtemps.
Ceux-là qui se fichent des gens qu’ils empêchent de passer. Pour eux le temps s’est arrêté. Ils se serrent fort et longtemps, leurs corps se parlent, eux ne disent rien. Leurs corps collés se disent « je t’aime » « tu m’as manqué » « tu me manques encore, viens plus près ».

Et puis, il y a mes préférés, ceux que personne n’attend. Ils débarquent les yeux ensommeillés d’une sieste dans le train et cherchent une sortie au milieu du vacarme. Personne ne les accueille les bras ouverts. J’imagine que personne non plus ne les attend chez eux.

L’amour se pose aussi sur eux parce que je leur en donne. J’ai toujours envie de les prendre dans mes bras. Juste pour leur dire bienvenue. Les serrer très fort jusqu’à ce qu’ils aillent mieux. Se sentent moins seuls.
Mais avec la chance que j’ai on me prendrait sans doute pour un pickpocket.
Alors que ça ne serait pas si idiot, des employés qui accueilleraient les gens seuls à la gare. Juste sur le quai. Un visage souriant à retrouver en sortant du train. Qui demanderaient « le voyage s’est bien passé ? ». Et l’autre pourrait faire semblant d’être fatigué pour faire plaisir.

Alors quand je faisais ma tournée des gares, c’est toujours eux que je dessinais. Ces gens seuls avec leur grosse valise.
Je les dessinais parce que c’était comme les serrer fort contre moi.
Sauf qu’ils n’en savaient rien."

Pages 39-40.


Fanny Salmeron, Si peu d'endroits confortables, éditions Stéphane Million 2010.

J'étais impatiente de le lire! Quand je l’ai reçu, il y a un mois, je l’ai lu d’une traite. Trop vite, beaucoup trop vite.
Ce n’est pas la première fois que je lis le livre d’un écrivain que je connais, d’un écrivain-ami. A chaque fois j’étais déçue. Je ne parle pas des amis écrivains virtuels, eux ne m’ont pas déçue (à vrai dire je ne les connais pas, ma lecture est donc objective). Je parle des écrivains-amis, que je connais personnellement. En fait, en les lisant, je n’arrive pas à faire abstraction de ce qu’ils sont pour moi, c’est-à-dire que je les aime beaucoup dans la vie et du coup je n’arrive pas à me concentrer sur ce qu’ils écrivent objectivement et, si j’ai vraiment besoin de me concentrer, c’est parce que je ne rentre pas dans leur histoire (ils écrivent des romans), ce qu’ils sont prend le dessus et ce que je lis me déçoit.

Avec Fanny, ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Je suis rentrée « dedans » (son livre) tout de suite, tellement que lorsque je l’eus terminé, il y a un mois, je l’ai laissé sur ma table de chevet (d’habitude je range mes livres terminés dans ma bibliothèque). Et là, je l’ai rouvert avant-hier et je l’ai relu, plus lentement et j’étais au fil de ma lecture aussi séduite qu’au premier jet, moins excitée parce que plus étonnée encore par la qualité de l’écriture. « Ecrire c’est donner un peu de soi… » et je trouve que pour un premier livre Fanny Salmeron (28 ans) donne beaucoup d’elle. Mais je n’étais pas surprise, je savais déjà en lisant son blog/journal que c’était un écrivain.

Si peu d’endroits confortables c’est " L'histoire de deux solitudes urbaines servie par une écriture fiévreuse." (Mohammed Aissaoui, Le Figaro littéraire).
Il y a Hannah, qui erre dans Paris en écrivant à la fille qu'elle aime et qui est partie. Il y a Joss, garçon étrange aux cheveux bleus, débarqué dans cette ville inconnue pour oublier son passé. Et puis un jour ils se rencontrent. "Je ne sais pas si deux solitudes s'annulent, je ne sais pas si elle se consolent. Je ne sais pas si au contraire elles ne forment pas un vide encore plus grand." Une histoire d'amour où l'amour n'est pas toujours un endroit confortable.
4ème de couverture.