" [...] C’est bien joli de dire qu’on est Charlie, mais cela doit faire sourire
Cabu et Wolinski, parce que si tous ces gens avaient acheté Charlie Hebdo
auparavant, le journal aurait été davantage soutenu. Pour défendre la
liberté, il faut le courage de tous : dessinateurs, rédacteurs en chef,
lecteurs."
Chappatte, Le Temps.ch
Mercredi prochain, le million d'exemplaire de Charlie Hebdo va partir comme des petits pains. Mais après, combien de "Je suis CHARLIE" présents dans les rassemblements vont continuer de l'acheter ou de s'abonner?
" La philosophe J. Butler s’est intéressée aux réactions émotionnelles aux attentats du 11 septembre aux Etats-Unis.[...] Ses conclusions intéresseront peut-être celles et ceux qui s’inscrivent
dans le cadre humaniste, affirment « être Charlie » et veulent réfléchir
au sens de leurs gestes politiques.
[...]
Le caractère public et collectif de ces réactions émotionnelles nous
rappelle que les émotions sont tout sauf des réactions spontanées. En
effet, ces sentiments qui nous semblent si personnels, si intimes, si
« psychologiques » sont en réalité médiatisés par des cadres
interprétatifs qui les génèrent, les régulent et leur donnent un sens.
Derrière les émotions se cachent des discours, des perspectives et des
partis pris moraux et politique dont il importe de comprendre la nature
pour bien mesurer leurs effets.
[...]
Appliquée à l’actualité française, l’étude de J. Butler apporte un
éclairage sur la réaction officielle et dominante - c’est-à-dire
« humaniste » et « compatissante » - au drame de la rédaction de Charlie
Hebdo. Cette analyse invite à se décentrer et à s’interroger sur les
effets de ces discours et gestes de compassion. Or il n’est pas certain
que les effets mis en avant par les partisans de ce discours soient les
plus importants. On nous explique que ces discours de sympathie et ces
gestes de compassion peuvent aider les familles de ce drame à accomplir
leur deuil. Mais ces familles (et les lecteurs de Charlie Hebdo qui ont
noué des liens d’attachement à ces victimes) ne préféreront ils pas
faire ce travail dans l’intimité ?
[...]
Dans ces moments où nous sommes submergés par les émotions, il peut
être intéressant de penser à tous ces précédents et à ces morts, à
venir, que nous n’allons pas pleurer."
Par Mathias Delori, Chercheur CNRS au Centre Emile Durkheim de Sciences Po Bordeaux