"Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse !
Ce vers, le plus célèbre peut-être d’Alfred de Musset, pourrait résumer l’histoire de sa vie, une existence brillante et terne à la fois où ivresse rime constamment avec jeunesse, comme jouissance avec déchéance.
Extrait de Rolla :
L’Enfant du siècle fut un enfant terrible, vivant ses passions jusqu’aux limites de la folie, jusqu’à les vider de sens. Sa célèbre (trop célèbre !) liaison avec George Sand, ses amours contrariées avec d’autres femmes, en qui il ne voyait que des mamans ou des putains, révèlent la fragilité de son être : c’est lui l’ambigu Lorenzaccio, déchiré entre corruption et pureté.
Génie adolescent comme Rimbaud, Musset ne croit pas que "je est un autre" : pour lui, au contraire, la littérature ne vaut que si elle est le prolongement de la vie, dans l’alliance instable du pathétique et du futile.
Par cette fragilité extrême, Musset reste aujourd’hui vivant, grâce surtout à son théâtre. Fantasio, Marianne, Rosette, Perdican, Camille, Cœlio forment une ronde où le texte s’incarne, le temps d’une ronde éphémère."
Charles Sigel, je l'ai déjà dit est un conteur formidable, aucune lassitude à l'écouter sur les sujets qui pourraient sembler ennuyeux. Il alimente ses textes de références, d'anecdotes exaltantes. Et les amours, la vie d'Alfred de Musset n'en manquent pas.
Il nous parle aussi de Rachel qu'il rencontre, le 29 mai 1839, à la sortie du Théâtre-Français, Rachel, et avec laquelle il a une brève liaison en juin.
Un soir après une représentation du Tancrède de Voltaire, ils se retrouvent chez elle; ils se mettent à lire Phèdre, à deux voix, puis s'arrêtant, Musset s'interroge et confesse :
"Je ne vaux plus rien. Je ne suis plus fou en amour et si on ne l'est plus, qu'est-ce qui reste? Déraisonner en conscience, voilà la grande affaire de la vie".
"Je ne vis que quand un coeur bat sur le mien".
Que lui reste-t-il alors après sa rupture avec Rachel ? L'absinthe, le jeu, les filles; il sort, tout plutôt que rester face à lui-même.
"Être bien tranquille chez soi, est le plus atroce de tous les supplices. Comment Dante n'a-t-il pas pensé à nous montrer un homme en robe de chambre, au quatrième ou cinquième cercle de son Enfer, assis au coin du feu dans son fauteuil, les pieds dans ses pantoufles? C'eût été le dernier degré de l'horreur."
Flaubert dira de lui à Louise Colet qui lui racontait les progrès de Musset (elle s'intéresse alors à Musset; elle s'était fait une spécialité des hommes de lettres et, après Vigny, elle hésitait entre Flaubert et Musset) :
Et Flaubert terminera par ce théorème archi-flaubertien (dixit Charles Sigel):
"Moins on sent une chose et plus on est apte à l'exprimer comme elle est, comme elle est toujours."
Deux heures de récit passionnant, difficile à résumer.
A propos de Rolla (oeuvre que je découvre) :
Charles Sigel, je l'ai déjà dit est un conteur formidable, aucune lassitude à l'écouter sur les sujets qui pourraient sembler ennuyeux. Il alimente ses textes de références, d'anecdotes exaltantes. Et les amours, la vie d'Alfred de Musset n'en manquent pas.
Il nous parle aussi de Rachel qu'il rencontre, le 29 mai 1839, à la sortie du Théâtre-Français, Rachel, et avec laquelle il a une brève liaison en juin.
Un soir après une représentation du Tancrède de Voltaire, ils se retrouvent chez elle; ils se mettent à lire Phèdre, à deux voix, puis s'arrêtant, Musset s'interroge et confesse :
"Je ne vaux plus rien. Je ne suis plus fou en amour et si on ne l'est plus, qu'est-ce qui reste? Déraisonner en conscience, voilà la grande affaire de la vie".
"Je ne vis que quand un coeur bat sur le mien".
Que lui reste-t-il alors après sa rupture avec Rachel ? L'absinthe, le jeu, les filles; il sort, tout plutôt que rester face à lui-même.
"Être bien tranquille chez soi, est le plus atroce de tous les supplices. Comment Dante n'a-t-il pas pensé à nous montrer un homme en robe de chambre, au quatrième ou cinquième cercle de son Enfer, assis au coin du feu dans son fauteuil, les pieds dans ses pantoufles? C'eût été le dernier degré de l'horreur."
Flaubert dira de lui à Louise Colet qui lui racontait les progrès de Musset (elle s'intéresse alors à Musset; elle s'était fait une spécialité des hommes de lettres et, après Vigny, elle hésitait entre Flaubert et Musset) :
"En somme c'est un malheureux garçon, on ne vit pas sans religion (religion de l'art chère à Flaubert). [...] Musset n'a jamais séparé la poésie des sensations qu'elle complète; quand on veut mettre ainsi le soleil dans sa culotte, on brûle sa culotte."
Et Flaubert terminera par ce théorème archi-flaubertien (dixit Charles Sigel):
"Moins on sent une chose et plus on est apte à l'exprimer comme elle est, comme elle est toujours."
Deux heures de récit passionnant, difficile à résumer.
A propos de Rolla (oeuvre que je découvre) :
"Rolla, long poème de 784 vers, obtint
un succès considérable. Musset y conte l'histoire de Jacques Rolla, le
plus grand débauché de Paris, ville du monde «où le libertinage est à
meilleur marché».[...]
À travers Rolla, Musset tente, non sans une
certaine grandiloquence, le portrait d'une génération empêtrée dans ses
contradictions et qui finit par croire que, le bonheur devenu
impossible, il ne reste que l'ivresse ou le suicide."
Aquarelle d'Eugène Lami pour Rolla, poème d'Alfred de
Musset. (Musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau,
Rueil-Malmaison.)
Ph. Jeanbor © Archives Larbor
Marie en souriant regarda son miroir.
Mais elle y vit Rolla si pâle derrière elle,
Qu’elle en resta muette et plus pâle que lui.
« Ah ! dit-elle, en tremblant, qu’avez-vous aujourd’hui ?"
- Ce que j’ai ? dit Rolla, tu ne sais pas, ma belle,
Que je suis ruiné depuis hier au soir ?
C’est pour te dire adieu que je venais te voir.
Tout le monde le sait, il faut que je me tue.
- Vous avez donc joué ? - Non, je suis ruiné.
- Ruiné ? » dit Marie. Et, comme une statue,
Elle fixait à terre un grand oeil étonné.
« Ruiné ? ruiné ? vous n’avez pas de mère ?
Pas d’amis ? de parents ? personne sur la terre ?
Vous voulez vous tuer ? pourquoi vous tuez-vous ? »
Mais elle y vit Rolla si pâle derrière elle,
Qu’elle en resta muette et plus pâle que lui.
« Ah ! dit-elle, en tremblant, qu’avez-vous aujourd’hui ?"
- Ce que j’ai ? dit Rolla, tu ne sais pas, ma belle,
Que je suis ruiné depuis hier au soir ?
C’est pour te dire adieu que je venais te voir.
Tout le monde le sait, il faut que je me tue.
- Vous avez donc joué ? - Non, je suis ruiné.
- Ruiné ? » dit Marie. Et, comme une statue,
Elle fixait à terre un grand oeil étonné.
« Ruiné ? ruiné ? vous n’avez pas de mère ?
Pas d’amis ? de parents ? personne sur la terre ?
Vous voulez vous tuer ? pourquoi vous tuez-vous ? »
Elle se retourna sur le bord de sa couche.
Jamais son doux regard n’avait été si doux.
Deux ou trois questions flottèrent sur sa bouche ;
Mais, n’osant pas les faire, elle s’en vint poser
Sa tête sur la sienne et lui prit un baiser.
« Je voudrais pourtant bien te faire une demande,
Murmura-t-elle enfin : moi je n’ai pas d’argent,
Et, sitôt que j’en ai, ma mère me le prend.
Mais j’ai mon collier d’or, veux-tu que je le vende ?
Tu prendras ce qu’il vaut, et tu l’iras jouer. »
Rolla lui répondit par un léger sourire.
Il prit un flacon noir qu’il vida sans rien dire ;
Puis, se penchant sur elle, il baisa son collier.
Quand elle souleva sa tête appesantie,
Ce n’était déjà plus qu’un être inanimé.
Dans ce chaste baiser son âme était partie,
Et, pendant un moment, tous deux avaient aimé.
Jamais son doux regard n’avait été si doux.
Deux ou trois questions flottèrent sur sa bouche ;
Mais, n’osant pas les faire, elle s’en vint poser
Sa tête sur la sienne et lui prit un baiser.
« Je voudrais pourtant bien te faire une demande,
Murmura-t-elle enfin : moi je n’ai pas d’argent,
Et, sitôt que j’en ai, ma mère me le prend.
Mais j’ai mon collier d’or, veux-tu que je le vende ?
Tu prendras ce qu’il vaut, et tu l’iras jouer. »
Rolla lui répondit par un léger sourire.
Il prit un flacon noir qu’il vida sans rien dire ;
Puis, se penchant sur elle, il baisa son collier.
Quand elle souleva sa tête appesantie,
Ce n’était déjà plus qu’un être inanimé.
Dans ce chaste baiser son âme était partie,
Et, pendant un moment, tous deux avaient aimé.
Gervex Henri, Rolla, 1878, présenté au salon de 1878, retiré sous prétexte d'immoralité.
Portail des Collections des Musées de France.
Le poète est inhumé à Paris, au cimetière du Père Lachaise, où son monument funéraire se dresse avenue principale.
Sur la pierre sont gravés les six octosyllabes de son élégie " Lucie ":
et sur la face arrière, le poème " Rappelle-toi ":
Le poète est inhumé à Paris, au cimetière du Père Lachaise, où son monument funéraire se dresse avenue principale.
Sur la pierre sont gravés les six octosyllabes de son élégie " Lucie ":
Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière.
J’aime son feuillage éploré ;
La pâleur m’en est douce et chère,
Et son ombre sera légère
À la terre où je dormirai.
Plantez un saule au cimetière.
J’aime son feuillage éploré ;
La pâleur m’en est douce et chère,
Et son ombre sera légère
À la terre où je dormirai.
Rappelle-toi, quand sous la froide terre
Mon coeur brisé pour toujours dormira ;
Rappelle-toi, quand la fleur solitaire
Sur mon tombeau doucement s'ouvrira.
Je ne te verrai plus ; mais mon âme immortelle
Reviendra près de toi comme une soeur fidèle.
Écoute, dans la nuit,
Une voix qui gémit :
Rappelle-toi.
Mon coeur brisé pour toujours dormira ;
Rappelle-toi, quand la fleur solitaire
Sur mon tombeau doucement s'ouvrira.
Je ne te verrai plus ; mais mon âme immortelle
Reviendra près de toi comme une soeur fidèle.
Écoute, dans la nuit,
Une voix qui gémit :
Rappelle-toi.