dimanche 14 octobre 2012

L'homme ivre c'est celui qui s'émerveille de ce dont on se fiche

Un ciel sans nuages serait si monotone, je contemple celui-ci, changeant au fil des heures... Ici le vent chasse les nuages rapidement, en quelques secondes le soleil pénètre dans votre maison et l'emplit de sa lumière, de sa chaleur.


Je regardais alors mes vitres crasseuses dans cette lumière. Je me décidais pour le nettoyage, je commencerai par une fenêtre. J'allumais la radio, c'était l'heure du Gai Savoir. Je retrouvais Raphaël Enthoven; en l'écoutant je comprenais pourquoi j'étais moins passionnée par les NCC; parce qu'il n'est plus là. Quel plaisir de l'entendre!  Aujourd'hui,  son "chouchou" Clément Rosset était à l'honneur, pour son ouvrage : Le réel et son double.


"À en croire Clément Rosset, les humains partagent tous le rêve d’un « double » de la réalité, un rival du réel, que les hommes s’inventent, au quotidien, pour survivre dans un monde qui se moque, à vrai dire, de ce qu’ils sont comme de ce qu’ils y font. De sorte que la condition humaine lui semble une tragi-comédie dont les protagonistes ne cessent de fuir ce qui est pour vénérer ce qui n’est pas. C’est en général au philosophe qu’on reproche de voir midi à quatorze heures, de se prendre la tête, ou de dire en plusieurs livres ce qui tient en quelques phrases ; or, ce que montre Clément Rosset, dans des ouvrages brefs, clairs et désopilants, c’est que tout le monde voit double, et qu’il est beaucoup plus facile de se compliquer la vie, que de regarder, simplement, ce qu’on a sous les yeux."

R. Enthoven a le don des exemples concrets pour expliquer les pensées les plus abstraites. Il nous explique pourquoi Rosset est le philosophe de l'ivresse.

"Rosset nous dit que la différence entre l'homme sobre et l'homme ivre c'est que l'homme ivre sait qu'il est ivre. L'homme ivre sait qu'il délire alors que l'homme sobre croit qu'il est raisonnable, croit qu'il parle sérieusement, croit qu'il ne délire pas. Donc entre celui qui sait qu'il délire et celui qui croit qu'il ne délire pas, c'est celui qui délire qui a gagné en lucidité. De sorte que l'ivresse est un gain de lucidité aux yeux de Rosset. Pourquoi? Tout simplement parce que l'homme ivre, l'ivrogne, c'est celui qui s'intéresse à des trucs dont on se fiche complètement vous et moi. L'homme ivre c'est celui qui s'émerveille de ce dont on se fiche."

Un autre moment intéressant de l'émission fut celui évoqué du "premier-dernier baiser", la primultime selon Vladimir Jankélévitch.

"« Primultime », terme peu courant, désigne ce qui est à la fois premier et dernier, autrement dit ce qui n’arrive qu’une fois. Ce mot, créé par le philosophe Vladimir Jankélévitch, caractérise selon lui le temps, la mémoire ou encore la musique, dont il a parlé dans ses cours de Prague et de Paris.

"Etait-ce Prague? écrit-t-il en se penchant sur les pièges de la mémoire. Etait-ce moi ? N'ai-je pas confondu mes souvenirs avec ceux d'un autre? Et il en est ainsi de tout ce qui est advenu une seule fois dans l'éternité, et puis jamais plus. Never more! Le premier-dernier baiser, la primultime rencontre. Un doute éternel enveloppera dans son linceul d'incertitude ce qui jamais ne fut réitéré".

V. Jankélévitch a aussi écrit un ouvrage : Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien." Mais là je déborde du sujet du Gai Savoir de ce jour... et je n'ai pas envie d'avoir la migraine!
"Le Presque-rien n'est pas rien, le Presque-rien est tout."


Mes vitres étaient propres, je n'avais pu faire qu'une fenêtre. Il s'est mis à pleuvoir. Je me suis installée dans mon fauteuil pour écouter Raphaël Enthoven. Il conclut l'émission le Gai Savoir par ces mots :

"Ne jamais oublier que ce qu'on sait n'est qu'une façon supplémentaire de douter.
Une philosophie qui se contenterait du savoir ne mériterait pas une heure de peine".