mercredi 6 juin 2012

Se persuader...

Tout faire, tout voir, en arrivant à me persuader que j'y prends du plaisir, en occultant cette chienne de solitude qui me colle aux basques comme mon ombre. Et j'y arrive, enfin, je crois, je ne sais pas... et jusqu'à quand.

Mais si, j'y arrive voyons, je n'ai pas eu besoin de me pincer pour ressentir ce bonheur d'être là.


 Ce pêcheur avec son chien ne se pose pas la question de savoir s'il est heureux.
Il l'est.


A Helen Corke, 12 juillet 1911
12 Colworth
Mercredi minuit

Je n'ai pas été surpris de trouver ta lettre en rentrant de Douvres. Ne sois pas blessée - je formule seulement mes paroles à la hâte. Bien sûr, bien sûr, ma doctrine est qu'une émotion est authentique même si le lendemain un sentiment antagoniste la supplante. Ce que nous sommes l'un pour l'autre est indéniable. Il y a une partie de toi que je devrais toujours aimer. Mais en même temps, je dois me libérer. Et je ne peux pas me marier, sauf si cela ne me lie pas. Tu peux même m'attribuer ce trait honteux, l'anormalité, pourvu que tu me croies. J'aime Louie* d'un amour qui n'empiète pas sur ma liberté et je peux l'épouser tout en demeurant seul. C'est ainsi que je dois vivre, si je me marie - dans la solitude de l'âme avant tout.
[...]
J'ai été extraordinairement heureux, tout seul à Douvres. Je n'avais rien à rejeter, nulle raison d'exercer mon ironie. La lune se levait, tout contre ma poitrine. Je crois que je peux arriver à vivre seul, corps et âme, aussi longtemps qu'il le faut [...]"
* Louisa Burrows

D.H. Lawrence, in Lettres choisies, Gallimard 2001.