mardi 31 janvier 2012

Journal

Ne pas écrire au jour le jour oblige à un petit exercice de mémoire. Une chose est sûre, je sais que je pense tous les jours à elle.

Mardi 24 janvier.


Matin : j'assiste à la remise au columbarium de l'urne d'un ancien voisin à la campagne. La messe d'enterrement a eu lieu la veille dans une ville trop éloignée pour que je m'y rende. Tant mieux. Je déteste les messes d'enterrement. Elles me font pleurer, tout comme les messes de mariage.
Je n'étais pas retournée dans ce village où j'ai vécu quatorze ans, depuis que j'ai déménagé il y a plus de trois ans. Dans la grisaille et l'humidité, les chemins boueux, bouseux, je n'ai éprouvé aucune nostalgie de l'avoir quitté; bien au contraire. Au columbarium, quelques amis de "la veuve" soulagée, mais il ne faut pas le dire, car son défunt mari était déjà depuis bien longtemps dans un autre monde... Quoi qu'il en soit, le manque se fera sentir... plus tard.
Je me demandais ce que je faisais là; enfin si, j'étais là pour elle.
Ensuite nous sommes allées - elle, sa soeur, une de ses filles et moi - prendre un café dans le bistrot du coin. Il était 11 heures.  Un de ces bistrots de village où deux ou trois hommes sont au comptoir devant un verre de blanc ou de rouge ou de bière à n'importe quelle heure. Personne d'autre dans cette salle froide. Nous nous sommes attablées et avons pris un café.
Je me demandais ce que je faisais là; enfin si, j'étais là pour elle. Pas pour lui, le défunt, qui m'avait traité de "parisienne" sur un ton de mépris lorsque je m'étais plainte des aboiements continus de son chien, attaché près de sa niche du côté de mon jardin. "Quand on n'aime pas les chiens on ne s'installe pas à la campagne m'avait-il vociféré ". Je lui avais rétorqué : "quand on aime les chiens on ne les laisse pas attachés toute la journée et toutes les nuits à une chaîne par n'importe quel temps." Heureusement, le chien est mort avant lui. J'aime les animaux... en liberté.
Cette matinée était glauque.

Après-midi : mais qu'ai-je donc fait? Je ne sais plus. Ah si! En revenant en ville, après le columbarium, je me suis sentie revivre. J'ai laissé ma voiture sur mon parking et je suis allée à pied déjeuner dans une brasserie. Me suis régalée avec des lasagnes fondantes. La vie était là, dans ce lieu bruyant. C'est la première fois que je venais dans cette brasserie. J'étais au deuxième étage, c'était plein... de gens qui travaillent et font la pause-déjeuner. Il y avait une bibliothèque, je suis allée voir ce qu'elle contenait : de très vieux livres, magnifiques, remplis de poussière, essentiellement religieux. C'était étrange, incongru dans ce restaurant. J'en fait part au garçon qui me dit : "ah bon, religieux? Je n'ai jamais regardé ces livres."

Mercredi 25 janvier.
Mais qu'ai-je donc fait? Me rappelle plus.

Jeudi 26 janvier.
Matin : prises de sang. A jeun, hagarde, pas maquillée, pas coiffée, dans la salle d'attente ces néons au plafond ne me font pas de cadeau. Je dois avoir l'air livide.
Après-midi : golf. J'ai bien joué.

Vendredi 27 janvier.
Tous mes matins se ressemblent (sauf prises de sang).
Après-midi : je me secoue pour ne pas rester enfermée. Balade en ville, sans but.  Je rentre dans une pâtisserie, Chez Philomène, je choisis trois petits macarons et je prends un café dans le salon de thé. Un couple arrive avec des bagages. Ils choisissent deux gâteaux et commandent deux cafés décaféinés. Lui est excentrique, parle fort, joyeusement, il demande s'ils ont des sucrettes; ils n'en ont pas. Il ressort et va à la pharmacie à quelques mètres et revient avec des sucrettes. Il parle toujours fort en faisant de grands gestes, en souriant, il me regarde, attend que je sourie sans doute. Il porte une casquette en tweed, un pull à col roulé en shetland, une veste en velours à grosses côtes, un pantalon en tweed, style très British; il a des lunettes à montures rouges. Il est assez élégant, il a envie qu'on l'entende, qu'on le regarde; ça manque d'élégance; sa femme est plongée dans la lecture d'un journal. Je la comprends. Je le comprends aussi. Il s'emm... ensembles.

Samedi 28 janvier.
Matin : rien, comme d'habitude, je ne fais rien.
Après-midi : médiathèque. Emprunté deux DVD : Un film, M/OTHER et un documentaire sur Virginia Woolf.
Soirée : regardé M/OTHER, film japonais de Suwa Nobuhiro. Beau film.

Dimanche 29 janvier.
Matin : j'écoute de la musique, en rêvassant.
Après-midi : ciné. Film : Les Acacias.  Merveilleux.
Soirée : lecture.

Lundi 30 janvier.
Matin : prises de sang, rebelote... au petit matin blême.
Après-midi : j'ai cuisiné! Puis j'ai fait des recherches en fin d'après-midi sur ta famille ; je voulais avoir des nouvelles de ton frère, je n'avais plus leurs coordonnées. Je n'ai plus eu de leurs nouvelles depuis 1991.
Soirée : Virginia Woolf le documentaire. Ennuyeux, mieux vaut lire ses oeuvres.

Mardi 31 janvier.
Matin : petit tour sur la Toile.
Après-midi : courses, le plein. En fin d'après-midi reçu un mail  qui a chamboulé mon quotidien. Des nouvelles de ta famille avec laquelle je n'ai jamais eu beaucoup de relations. J'apprends le décès de ton frère; il est mort en 2005 et je ne l'ai pas su. Ça me bouleverse. Je ne l'avais vu que deux fois dont une quand tu étais hospitalisé. Il ne te ressemblait pas vraiment physiquement mais il était souriant et d'une grande gentillesse. Un échange de mails, de photos a suivi cette nouvelle qui m'a attristée et perturbée. Sa femme, ma belle-soeur donc, m'envoie des photos de leur fils, je l'avais vu en photo vers l'âge de 10 ans, il en a 37. J'ai cru défaillir en voyant sa photo : c'est ton clone mon Aimé. Ils ont un petit garçon. La descendance patronymique est assurée!
Ce soir coup de fil de sa mère, ma belle-soeur (c'est étrange de dire ma belle-soeur, je la connais à peine) qui me dit :
- Y. a pleuré au téléphone quand je lui ai dit que tu m'avais envoyé un mail avec des photos. Il a toujours admiré son oncle. Il veut te voir. Quand tu le verras - car tu viendras nous voir - tu auras un choc.
- Pourquoi lui dis-je?
- Parce que c'est ** craché.
- Oui, je l'ai vu tout de suite sur les photos.

Ce soir c'est un peu ma vie qui est chamboulée. On est restée une heure au téléphone. Elle m'a parlé de la famille qui vit en S., elle est restée en contact avec eux et va régulièrement à G. Je voudrais aussi prendre contact avec eux.
Cette recherche que j'ai faite hier j'y pensais depuis mon déménagement. C'est étrange ce besoin, en vieillissant, de vouloir savoir ce que deviennent... ceux que vous avez perdu de vue; prendre de leurs nouvelles avant qu'il ne soit trop tard. J'ai trop tardé pour ton frère. Il est mort à 57 ans, tu en avais 47. Je suis sûre que ça te ferait plaisir que je prenne des nouvelles de ta famille; tu m'en as si peu parlé, je sais si peu de choses de toi. Je ne te posais pas de questions. Pourtant j'ai vécu 10 ans avec toi.