mardi 17 août 2010

Une femme avec laquelle je ris, je pleure, je cause et je pense

Le Chef d'Oeuvre Inconnu de Balzac. Extrait :

"Ma peinture n'est pas une peinture, c'est un sentiment, une passion ! Née dans mon atelier, elle doit y rester vierge, et n'en peut sortir que vêtue. La poësie et les femmes ne se livrent nues qu'à leurs amants ! possédons-nous le modèle de Raphaël, l'Angélique de l'Arioste, la Béatrix du Dante ? Non ! nous n'en voyons que les Formes. Eh ! bien, l'oeuvre que je tiens là-haut sous mes verrous est une exception dans notre art. Ce n'est pas une toile, c'est une femme ! une femme avec laquelle je ris, je pleure, je cause et je pense. Veux-tu que tout à coup je quitte un bonheur de dix années comme on jette un manteau? Que tout à coup je cesse d'être père, amant et Dieu? Cette femme n'est pas une créature, c'est une création. Vienne ton jeune homme, je lui donnerai mes trésors, je lui donnerai des tableaux du Corrège, de Michel-Ange, du Titien, je baiserai la marque de ses pas dans la poussière; mais en faire mon rival ? honte à moi ! Ha ! ha! je suis plus amant encore que je ne suis peintre. Oui, j'aurai la force de brûler ma Belle Noiseuse à mon dernier soupir; mais lui faire supporter le regard d'un homme, d'un jeune homme, d'un peintre ? non, non ! Je tuerais le lendemain celui qui l'aurait souillée d'un regard ! Je te tuerais à l'instant, toi, mon ami, si tu ne la saluais pas à genoux ! Veux-tu maintenant que je soumette mon idole aux froids regards et aux stupides critiques des imbéciles ? Ah ! l'amour est un mystère, il n'a de vie qu'au fond des coeurs, et tout est perdu quand un homme dit même à son ami : - Voilà celle que j'aime !"...

A lire en entier (seulement 20 pages!) pour en comprendre la ferveur. Une magnifique réflexion sur l'art. Il a inspiré au cinéma le film La belle noiseuse à Jacques Rivette en 1991.

J'ai découvert avec bonheur ce texte il y a quatre ou cinq ans, je ne sais pourquoi j'y repense ce soir.