Je pensais que ma journée allait être à la mesure de ce ciel, légère, lumineuse, apaisée.
Elle ne fut que tourmente.Le soleil était déjà levé tandis que la lune s'attardait encore ce matin.
Je cherchais alors une consolation dans la lecture.
"Et maintenant elle veut savoir ce que je cherche et trouve donc chez les putes. Et je réponds - la soirée est douce, avec dans l'air déjà une note automnale, les clients sont rares dans ce restaurant aux niches rustiques, et j'ai prescrit à Marianne un Irish Whiskey contre sa toux et ses pleurnicheries, et à moi un bourbon à l'eau... -, je réponds : Il y a d'abord la solitude; quand je reste si longtemps seul, il faut de temps en temps que j'aie une femme dans mes bras, ça me permet de tenir un moment. Si je vais chez des prostituées , ce n'est pas du tout parce que j'ai un blocage ou des problèmes de contact. D'ailleurs ce que je recherche, ce ne sont pas les filles du trottoir mais plutôt les "belles de jour*", les filles de maisons de rendez-vous*. Là, on a du temps l'un pour l'autre, une heure, deux heures ou plus, dans ces belles chambres où l'on converse et où l'on ne se met pas à aimer, à faire l'amour tout de suite, mais seulement après de délicates approches, presque comme "en vrai". Et puis c'est chaque fois cette ascension l'un vers l'autre, cet acte d'être couché à deux que je trouve miraculeux. Un miracle, si l'on considère quels remparts d'inconnu, de crainte, de crainte du contact, de méfiance, se trouvent surmontés dans cette... preuve de confiance, je ne vois pas d'autre mot, quand on se couche l'un à côté de l'autre, nu comme à sa naissance, et qu'on commence à se donner ce menu bonheur. Je ne suis pas amateur de sexe rapide et encore moins de spécialités, lui dis-je, mais seulement de cette chose immuable et miraculeuse, et quand c'est bon, ce qui se produit est déjà de l'amour, ou n'en est pas loin.[...]
Et je continue dans cette veine, et c'est la première fois que j'arrive à expliquer ça si simplement et uniment, ou du moins à le lui expliquer, à elle**, nous n'en avions presque jamais parlé jusque là, et de fait, tout soupçon, tout mépris, toute raillerie la quittent maintenant, et elle me dit : "Je peux comprendre"."
* Expressions écrites en français dans le texte original de langue allemande, 2004.
Pages 189 - 190.
** "elle", Marianne est sa femme.
Paul Nizon, Le livret de l'amour, Journal 1973-1979, éditions Acte Sud, 2007.