jeudi 12 janvier 2017

Vouloir et ne plus pouvoir

Et je reviens sur la lecture de cet ouvrage, que je prends, que je laisse, que je digère, que je reprends, depuis quelques années. Depuis 2009! 

Nouveaux extraits :
""Un homme, ça peut être détruit mais pas vaincu", dit le vieux pêcheur. [Le vieil homme et la mer]. Hemingway a essayé par cet apologue, d'ailleurs peu convaincant, de conjurer les obsessions qui le hantaient; il lui devenait difficile d'écrire, il ne pouvait plus maintenir l'image que pendant toute sa vie il avait tenu à donner de lui-même : exubérance vitale, virilité; il pensait au suicide et finit par se tuer d'un coup de fusil.
Sous des figures moins épiques, l'entêtement du vieux pêcheur se rencontre chez beaucoup de vieillards. De vieux sportifs continuent, certains jusqu'à 92 ans, à faire de l'athlétisme, du tennis, du football, du cyclisme. En général, ils n'ont derrière eux que de médiocres palmarès, mais, sans vouloir accomplir de grandes performances, ils gardent le souci de contrôler leur temps. Beaucoup fréquentent plus régulièrement le stade une fois qu'ils sont à la retraite qu'auparavant. A partir de 60 ans, la pratique du sport fait courir des risques aux deux tiers d'entre eux. Cependant ils n'éprouvent pas de gêne fonctionnelle. Le sport ne ralentit pas la sénescence des organes. Mais il contribue à leur bon fonctionnement. Moralement, l'obstination des vieux sportifs a quelque chose de tonique et l'entourage qui trop souvent tente de la décourager devrait la respecter. Trop réduire ses activités amène une diminution de toute la personne. C'est ce qu'ont bien compris les vieilles femmes de Bali qui continuent à porter sur leurs têtes de lourds fardeaux. L'homme âgé sait que dans ses défaillances physiques, l’œil impitoyable de son entourage trouve la preuve de cette déchéance généralisée qu'exprime le mot vieillesse. Il entend démontrer aux autres et à lui-même qu'il demeure un homme.

Le moral et le physique sont étroitement liés. Pour accomplir le travail qui réadapte au monde un organisme péjorativement modifié, il faut avoir gardé le goût de vivre. Réciproquement : une bonne santé favorise la survivance d'intérêts intellectuels et affectifs. La plupart du temps, le corps et l'esprit vont ensemble "vers leur croist ou leur discroit". Mais pas toujours. La belle santé de La Fontaine n'empêchait pas sa déchéance mentale; une grande intelligence subsiste parfois dans un corps détérioré. Ou les deux déclinent à des cadences différentes, l'esprit tentant de résister, mais débordé par l'involution organique, comme ce fut le cas chez Swift. Alors le vieillard éprouve tragiquement une sorte d'inadéquation avec lui-même. Alain disait qu'on ne veut que ce qui est possible : mais c'était d'un rationalisme trop simple. Le drame du vieillard, c'est bien souvent qu'il ne peut plus ce qu'il veut. Il conçoit, il projette et, au moment d'exécuter, son organisme se dérobe; la fatigue cesse ses élans; il cherche ses souvenirs à travers des brumes; sa pensée se détourne de l'objet qu'elle s'était fixé. La vieillesse est alors ressentie - même sans accident pathologique - comme une sorte de maladie mentale où l'on connaît l'angoisse de s'échapper à soi-même."
Pages 333 - 334
Simone de Beauvoir, in La Vieillesse, essai, éditions Gallimard, 1970.

Je me suis replongée dans cet ouvrage, hier, en fin d'après-midi, en rentrant - sous la pluie et le vent, avec tout de même un éclat de rire - d'une consultation qui ne me laissait rien présager de positif pour l'avenir. Malgré cela, j'étais bien décidée à continuer de jouer au golf, seule, ou pas, en marchant, à mon rythme, ou pas, en tirant sur mes mollets, en tirant mon chariot ou en portant mon sac en hiver; en me dopant aux antalgiques... seulement si nécessaire... jusqu'à ce que je m'écroule! "Tonnerre de Brest! Bande de bachi-bouzouk!" Hier donc, dans la salle d'attente, je lisais un article étonnant dans un vieux Télérama : une interview de Iggy Pop (il va avoir 70 ans en avril). Ma génération, oui, ouin! Et, coïncidence, la veille je venais de le voir dans un film de Jim Jarmush (j'y reviendrai). 



"Mon nouvel album ne parle que de ça : de l'âge. De ce qui se passe quand on se sent perdre sa force, avec cette impression d'aspirer l'énergie de l'autre sans rien pouvoir donner en retour." (Iggy Pop dans Télérama)

Et, surprise, en lisant l'article : j'apprends qu'il jouait au golf avec son père! Incroyable! Et, plus tard, je découvre qu' il n'est pas la seule star rock'n'roll à aimer jouer au golf!
Neil Young, Bob Dylan, Alice Copper (5 de handicap!)... Qui l'eut cru? Pas moi! Mais ce n'est pas la marche ni le port du sac qui les fatigue.



"Votre madeleine de Proust ?
Jouer au golf… Je le faisais régulièrement avec mon père. Et les œufs brouillés, car ma mère m’en préparait tous les matins. J’ai perdu mes parents, ils étaient formidables. Je n’aurais pas aimé être à leur place avec un fils comme moi !" (Iggy Pop, interview du Figaro)