lundi 2 janvier 2017

De, la lecture

Et si 2017 c'était ça!


Paul Gauguin, Aimons-nous les uns les autres
 
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"Dans la lecture, l'amitié est soudain ramenée à sa pureté première. Avec les livres, pas d'amabilité. Ces amis-là, si nous passons la soirée avec eux, c'est vraiment que nous en avons envie. Eux, du moins, nous ne les quittons qu'à regret. Et quand nous les avons quittés, aucune de ces pensées qui gâtent l'amitié : Qu'ont-ils pensé de nous? - N'avons-nous pas manqué de tact? - Avons-nous plu? - et la peur d'être oublié pour tel autre. Toutes ces agitations de l'amitié expirent au seuil de cette amitié pure et calme qu'est la lecture."
[...]
 "Et c'est là, en effet, un des grands et merveilleux caractères des beaux livres (et qui nous fait comprendre le rôle à la fois essentiel et limité que la lecture peut jouer dans notre vie spirituelle) que pour l'auteur ils pourraient s'appeler "Conclusions" et pour le lecteur "Incitations". Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l'auteur finit, et nous voudrions qu'il nous donnât des réponses, quand tout ce qu'il peut faire est de nous donner des désirs."
Marcel Proust, in Journées de lecture, éditions Fata Morgana, 2006.

Je me suis livrée, le jour de la Saint Sylvestre, hier, à mon petit exercice de lecture. Cette année, pas de mise en scène pour cet enregistrement, au pied levé, que j'aurai dû refaire; le trac n'aidant pas, je bafouille d'entrée avec le mot Marcel. Tant pis, je laisse ce premier jet. Extrait de l'ouvrage de Marcel Proust lu ce week-end de Saint-Sylvestre.


(Texte retranscrit ci-dessous)

"Les théories de William Morris, qui ont été si constamment appliquées par Maple et les décorateurs anglais, édictent qu'une chambre n'est belle qu'à la condition de contenir seulement des choses qui nous soient utiles et que toute chose utile, fût-ce un simple clou, soit non pas dissimulée, mais apparente. [...] A la juger d'après les principes de cette  esthétique, ma chambre n'était nullement belle, car elle était pleine de choses qui ne pouvaient servir à rien et qui dissimulaient pudiquement, jusqu'à en rendre l'usage extrêmement difficile, celles qui servaient à quelque chose. Mais c'est justement de ces choses qui n'étaient pas là pour ma commodité, mais semblaient y être venues pour leur plaisir, que ma chambre tirait pour moi sa beauté. [...] [...] [...] Je laisse les gens de goût orner leur demeure avec la reproduction de chefs-d’œuvre qu'ils admirent et décharger leur mémoire du soin de leur conserver une image précieuse en la confiant à un cadre de bois sculpté.  Je laisse les gens de goût faire de leur chambre l'image même de leur goût et la remplir seulement de choses qu'il puisse approuver. Pour moi, je ne me sens vivre et penser que dans une chambre où tout est la création et le langage de vies profondément différentes de la mienne, d'un goût opposé au mien, où je ne retrouve rien de ma pensée consciente, où mon imagination s'exalte en se sentant plongée au sein du non-moi : je ne me sens heureux qu'en mettant le pied - avenue de la Gare, sur le port ou place de l’Église - dans un de ces hôtels de province aux longs corridors froids où le vent du dehors lutte avec succès contre les efforts du calorifère, où la carte de géographie détaillée de l'arrondissement est encore le seul ornement des murs, où chaque bruit ne sert qu'à faire apparaître le silence en le déplaçant, où les chambres gardent un parfum de renfermé que le grand air vient laver, mais n'efface pas, et que les narines aspirent cent fois pour l'apporter à l'imagination, qui s'en enchante, qui le fait poser comme un modèle pour essayer de le recréer en elle avec tout ce qu'il contient de pensées et de souvenirs; où le soir, quand on ouvre la porte de sa chambre, on a le sentiment de violer toute la vie qui y est restée éparse, de la prendre hardiment par la main quand, la porte refermée, on entre plus avant, jusqu'à la table ou jusqu'à la fenêtre; de s'asseoir dans une sorte de libre promiscuité avec elle sur le canapé exécuté par le tapisser du chef-lieu dans ce qu'il croyait le goût de Paris; de toucher partout la nudité de cette vie dans le dessein de se troubler soi-même par sa propre familiarité, en posant ici et là ses affaires, en jouant le maître dans cette chambre pleine qu'aux bords de l'âme des autres et qui garde jusque dans la forme des chenêts et le dessin des rideaux l'empreinte de leur rêve, en marchant pieds nus sur son tapis inconnu; alors, cette vie secrète, on a le sentiment de l'enfermer avec soi quand on va, tout tremblant, tirer le verrou; de la pousser devant soi dans le lit et de coucher enfin avec elle dans les grands draps blancs qui vous montent par-dessus la figure, tandis que, tout près, l'église sonne pour toute la ville les heures d'insomnie des mourants et des amoureux."
 
Impossible de retrouver mes billets d'autres années avec mes lectures à voix haute. Les aurais-je supprimés... un jour de pudeur (*_*) et de lucidité? Pas impossible. 
En m'écoutant, je me dis que la lecture à voix haute est un art et si l'on ne possède pas ce talent, il est préférable de transcrire des extraits de livres plutôt que de les lire à haute voix. Il est probable que dans quelque temps je supprime cette voix, monotone. Je parle de livre délicieux, succulent; que de mièvres mots pour parler de ceux de Proust. C'est vrai, j'ai le trac, j'ai toujours été nulle à l'oral (et ce ne sont pas mes amoureux qui me contrediront!). Je n'allais tout de même pas me droguer pour lire ces quelques pages. Bigre, lisez-le livre et ne vous fiez pas à cette lecture qui ne donne absolument pas à entendre l'exaltation de Marcel Proust pour parler de ses souvenirs : de chambre, d'odeur, d'enfance, de lecture, de grand-tante, de cuisinière...

A propos des notes, auxquelles il faut absolument se reporter en cours de lecture de cet ouvrage, il écrit ceci : 

"J'ai essayé de montrer dans les notes dont j'ai accompagné ce volume que la lecture ne saurait être [ainsi] assimilée à une conversation, fût-ce avec le plus sage des hommes; que ce qui diffère essentiellement entre un livre et un ami, ce n'est pas leur plus ou moins grande sagesse, mais la manière dont on communique avec eux, la lecture, au rebours de la conversation, consistant pour chacun de nous à recevoir communication d'une autre pensée, mais tout en restant, c'est-à-dire en continuant à jouir de la puissance intellectuelle qu'on a dans la solitude et que la conversation dissipe immédiatement, en continuant à pouvoir être inspiré, à rester en plein travail fécond de l'esprit sur lui-même."

Lundi 2 janvier

La trêve des confiseurs est finie, youpi! Que la fête commence!