dimanche 31 mars 2013

"Jour superbe. J'ai couru comme un Basque..."

Dimanche 31 mars, jour de Pâques 1929

Matinée tiède, bienveillante. Je vais au musée Carnavalet voir l'exposition du théâtre du XVIIIe siècle. [...] Ensuite passée au musée du Jeu de Paume : toiles de peintre étrangers, je n'aime presque rien, [...]. Mais le plus médiocre des tableaux me fait du bien. Je repense à ce que dit dans son journal Ch. Du Bos sur son impuissance à sentir et le réveil des sensations en lui par la seule peinture; ainsi j'ai un besoin physique des tableaux; les thèmes de ma vie intérieure ne sont plus des lambeaux de phrases, mais des visages, des couleurs, un coin de paysage. [...]
Cet après-midi j'ai lu Thérèse Desqueyroux pour la seconde fois; j'ai aimé Mauriac d'avoir tant aimé cette femme ardente à vivre, heureuse du briquet tendu par un inconnu et de la simple foule humaine où il n'y a qu'à marcher au hasard pour se sentir emportée par la vie. Chez Picard j'ai lu Léviathan de Julien Green qui m'a serrée à la gorge [...] Cette fois le drame humain n'enveloppe pas qu'une destinée mais plusieurs figures tragiques y sont engagées, monstrueuses et pourtant si proches... [...]
Puis j'ai marché sur les quais en me racontant des histoires. Je me sens revivre dans ces jours d'où sont bannis les soucis d'examen, les gens m'y rattachent. Je voudrais savoir où j'en suis, il me semble que j'ai infiniment perdu, et le pire est que je n'arrive pas à en souffrir. Je me suis passionnée d'abord pour l'analyse psychologique; j'ai voulu démêler les moindre nuances de mes sentiments - ensuite je me suis passionnée pour ma vie spirituelle : l'an dernier à cette époque, je cultivais d'étranges exaltations. Et maintenant après cette vie ardente, dévorante, je suis inerte, portée au gré des occupations, des rêvasseries du moment. Rien de moi n'est engagé dans rien, je ne tiens ni à une idée, ni à une affection, par ce lien étroit, cruel et exaltant qui longtemps m'a attachée à tant de choses. Je m'intéresse à tout avec mesure. Oh! je suis raisonnable jusqu'à n'avoir pas même l'angoisse de mon inexistence. [...]

Simone de Beauvoir, in Cahiers de jeunesse 1926-1930.
(Elle avait 21 ans à cette date).

Dimanche de Pâques, 24 mars 1940 

Nous menons une vie parallèle bien étrange : plutôt ample et faite de loisirs, une vie en retrait et pleine de contentement. Je continue de dormir dans la chambre de L. Sans me presser, je prends un bain, m'habille puis vais m'asseoir dans le salon, tranquillement, où j'effectue les corrections souhaitées par Margery. Vraiment, cela ne me tracasse guère, bien que je dispose de peu de temps. Je ne puis m'empêcher de penser, n'en déplaise à L., que c'est un livre intéressant que je pense pouvoir améliorer, rendre plus vivant. [...] Cette vie est fragile comme une coquille d'œuf, tant je prends de précautions lorsque je me déplace pour éviter que la fièvre ne remonte : elle était retombée hier à 37°5, elle a légèrement remonté. Or si je ne vais pas me promener par ce grand vent, je pense bien pouvoir me refroidir, tout en maintenant mon esprit au calme jusqu'à la fin de la matinée. Je me sens toute vacillante sur mes jambes, comme un de ces agneaux nés avec le printemps.[...] Je trouve cela rafraîchissant, revivifiant de voir les bouquets touffus et dorés des crocus, les narcisses verts encore en boutons et d'entendre mes corneilles d'Asheham laisser choir leur rauque croassement dans l'air résineux. Les oiseaux tiennent conseil. L. a travaillé tout l'après-midi en chemise bleue à son jardin de rocaille. Le vieux Botten se meurt. Mabel et Louise sont parties à la messe à Southease et les agneaux bêlent.
Je viens de commencer Raison et Sentiments; également un livre sur les singes. [...]

Virginia Woolf, in Journal intégral 1915-1941.
(Elle avait 58 ans, c'était un an avant son suicide).


Dimanche de Pâques, 22 avril 1810

Jour superbe. J'ai couru comme un Basque. Déjeuner frais et charmant avec une salade au café de Chartres. De là à Saint-Eustache, charivari abominable; de là chez moi, quarante pages de Smith; de là au Conservatoire : musique agréable, j'y retournerai; de là aux Tuileries, bon dîner chez les Frères Provençaux; de là à Manlius : Talma me semble chercher son âme, comme Mme du Deffant le dit au chevalier d'Aydie. Il est naturel, à quelques tours de gorge près. La petite Maillard d'un mince ridicule. De là, j'attends une demi-heure mon cabriolet sans trop m'impatienter, en me promenant dans le jardin du Palais-Royal et réfléchissant à la conduite que je dois tenir pour en finir avec Mme Robert. De là, chez Mmes Shepherd, moins tristes qu'à l'ordinaire et même gaies et, qui plus et bien plus est, naturelles. J'y suis aimable et me retire à onze heures et demie. Je crois que MM. Grant et Roissy ont bonne opinion de mon esprit; ce sont les grands juges. Je lis une scène d'Othello avant de m'endormir.
J'oubliais que la veille de Pâques j'ai mangé d'excellent jambon chez Mme Doligny et que j'ai été très aimable, au point de n'y pas retourner parce que jamais je ne le serai autant. Ce n'est pas ma nature d'être aimable pour les femmes. A une heure, au bois de Boulogne avec Louis, nous revenons à cinq; à sept, la Vedova capriccioso. Mme Correa bonne chanteuse, mais manque d'expression, ne remplace point pour moi la Strinasacchi. Un monde d'enfer, je suis mal placé, n'y vois goutte et, étant fatigué, je tombe dans un demi-sommeil agréable.

Stendhal, in Journal.
(Il avait 27 ans à cette date).

Dimanche de Pâques, 31 mars 2013

Pénible ce changement d'heure... quand il s'agit de sortir du lit.
Ciel lumineux, je grignote mes toasts. Ce serait bien d'avoir le courage de poursuivre le lessivage des murs de la terrasse commencé dimanche dernier me dis-je en prenant mon petit déj. Je pense alors aux dimanches de Pâques des écrivains. En parlent-ils dans leur Journal?
Midi : j'entends les cloches.
Déjeuner frugal : un potage et une charlotte aux framboises - décongelée - de chez P. Ni agneau, ni messe! mais un déjeuner en écoutant les Papous, ça vaut bien une messe.
Après-midi : je hume l'air sur ma terrasse, il fait frisquet mais beau. Petit vent embêtant pour pulvériser l'eau de javel sur les murs. Courage! Lunettes et foulard pour protéger les yeux et les cheveux. Pulvérisateur, seau, arrosoir, balai-brosse, au boulot! Il est quatorze heures, je veux avoir terminé pour seize, heure à laquelle commence le Gai Savoir enfin de retour.
Je l'aurai parié, le temps passe trop vite et je n'ai pas fini. Tant pis, c'est moi qui suis lessivée, pause thé, au chaud avec Camus et Noces... "Ne pas confondre la rébellion avec l'indignation"... ni "le consentement avec la résignation"! Suis d'accord.
De cinq à sept je lis les journaux intimes d'un dimanche de Pâques de Simone de Beauvoir, Virginia Woolf et Stendhal. J'avoue trouver celui de Stendhal le plus séduisant.
Je les retranscris en faisant des coupures, surtout sur ceux du Castor (qui n'était pas encore le Castor quand elle écrivît ce texte) et de Virginia, qui font chacun trois pages.
20 h : pas si mal ce changement d'heure finalement, il fait encore très jour et cette lumière présage un printemps qui finira bien par arriver.
Si le déjeuner fut frugal, le dîner fut royal : confit de canard avec pommes-de-terre sarladaises, salade, fromage, en buvant à ma santé... avec modération!


21 h : je commence Les Faux-Monnayeurs...

Des mots et des êtres, in Je. (0_0)
(Elle a xx ans, n'est pas encore morte et n'est pas écrivain).