lundi 18 mai 2015

Un professeur de désespoir qui aimait à exister


"La consolation par le suicide possible élargit un espace infini cette demeure qui nous étouffe. L’idée de nous détruire, la multiplicité des moyens d’y parvenir, leur facilité et leur proximité nous réjouissent et nous effraient. Car il n’y a rien de plus simple et de plus terrible que l’acte par lequel nous décidons, irrévocablement, de nous-mêmes. En un seul instant nous supprimons tous les instants, Dieu lui-même ne saurait le faire. Mais, démons fanfarons, nous différons notre fin : comment renoncerions-nous au déploiement de notre liberté, au jeu de notre superbe ? Celui qui n’a jamais conçu sa propre annulation, qui n’a pas pressenti le recours à la corde, à la balle, au poison ou à la mer, est un forçat avili ou un vers rampant sur la charogne cosmique. Ce monde peut tout nous prendre, peut tout nous interdire, mais il n’est du pouvoir de personne de nous empêcher de nous abolir. Tous les outils nous y aident, tous nos abîmes nous y invitent, mais tous nos instincts s’y opposent. Nous voilà maître d’une solution d’autant plus alléchante que nous ne la mettons pas à profit ; elle nous fait endurer les jours et plus encore les nuits ; nous ne sommes plus pauvres ni écrasés par l’adversité ; nous disposons de ressources suprêmes et lors même que nous ne les exploiterions jamais et que nous finirions dans l’expiration traditionnelle, nous aurions eu un trésor dans nos abandons.
Est-il plus grande richesse que le suicide que chacun porte en soi ?"

Emil Cioran, in Précis de décomposition, Gallimard, 1949.

J'écoutais donc ce texte lu par (?) dans l'émission Le Gai savoir. Je disais hier que je me sentais sereine après cette écoute. Oui, parce qu'elle me déculpabilisait de vivre avec cette idée du suicide car vivre avec cette possibilité-là est une idée positive.

La liberté, la liberté de pouvoir se tuer permet de supporter la vie.
Le regard que porte en lui un mort en sursis ou quelqu’un qui se sait un mort en sursis sur le monde qui l’entoure, est d'une grande richesse.
Et puis, si je vis depuis quelques années avec cette idée, en permanence, elle n'est pas négative, je dirais même qu'elle adoucit ma vie et me permet d'en apprécier doublement la plus petite chose qui en fait sa beauté. La vie est belle, malgré tout. C'est bien ce que je disais il y a cinq ans déjà. La vache! J'avais déjà des crampes cette année-là... j'en ai toujours et de plus horribles encore.