mardi 5 mai 2015

Le snob est tragique

"Un snob est un artiste de soi-même qui a manqué son œuvre." (Patrick Dandrey)

Ce matin dans les NCC : entretien en alexandrins avec Raphaël Enthoven et Patrick Dandrey.


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"Un fan de slam n'est pas moins snob qu'un fan d'art lyrique". (Raphaël Enthoven).

Le philosophe Raphaël Enthoven a étudié le snobisme, cette façon qu'ont certains d'adopter des comportements qu'ils tiennent pour distingués.

Qu'a la philosophie à dire sur le snobisme ? 

Il me semblait intéressant d'aller sur les traces du maître à penser sur la question, Proust. Et sur son idée que les domestiques ne sont pas moins snobs que les duchesses.

Je rejoins cette pensée que le snobisme n'est pas tant une affaire de classe sociale que de désarroi individuel.

Une parade pour combler une faille ?

Être snob est une façon de regarder ailleurs plutôt que de regarder en soi. L'attachement aux réalités dérisoires témoigne d'une tentative désespérée de recouvrir l'abîme en soi. Plus cet abîme est profond, plus le snob est tragique, à la façon d'un clown triste.

Pourquoi agace-t-il s'il souffre ?

Peut-être est-il le plus honnête des hommes. Il sait, comme chacun de nous, qu'il est né par hasard et qu'il a peur de mourir.
Sa façon de surmonter la vanité de l'existence est de s'attacher à ce qui semble vain. Il agace car il a l'élégance et l'indécence de chérir des choses futiles, de ne pas se prendre au sérieux. Et il sait s'en moquer.

Pourquoi le snob est-il expert dans l'art d'exprimer ses goûts ?

L'expression artistique est le terrain de jeu favori du snob, car dire j'aime ou pas telle ou telle œuvre n'oblige pas à l'argumentation. Ce n'est pas la nature de ses opinions qui fait le snob, mais l'importance qu'il leur accorde.
Exemple, un fan de slam n'est pas moins snob qu'un fan d'art lyrique. Sa tenue, quoique moins formelle, est aussi codifiée que le nœud papillon du mélomane.

Le snob n'est donc pas que l'intello, le bobo, l'aristo… ?

Ils sont partout ! Ma palme revient à une Savoyarde qui tenait un refuge. Je lui demande un Coca. Que n'avais-je pas osé ! Dans son seul regard, je me suis senti comme un animal, un barbare, un citadin frelaté.

Tout le monde peut donc être snob ?

De nombreux préjugés le casent dans une classe sociale. Or, même le collectif peut se montrer snob. Un exemple récent : statistiquement, le CV d'un candidat portant le prénom de « Kevin » a 30 % de chances en moins de retenir l'attention d'un employeur qu'un « Arthur ». N'est-ce pas d'un snobisme incroyable de déduire le niveau socioculturel d'un salarié sur la base de son prénom ?

Ce que vous appelez la tyrannie de la majorité ?

La tyrannie de la majorité désigne, chez Tocqueville, la façon dont la foule produit des normes pas moins contraignantes que la loi, mais qui relèvent de la morale. Comment penser autrement les comportements collectifs d'exclusion, d'anathème et de création d'un bouc émissaire ?

Le snobisme, d'Adèle Van Reeth et Raphaël Enthoven, Plon.

(Source Valérie Parlan, Ouest-France)