mercredi 1 avril 2015

Auteurs suisses d'expression française

Lectrice régulière des auteurs suisses d'expression française, l'article de Sergio Belluz ce matin dans LE TEMPS (extraits ci-dessous) a retenu mon attention. J'ai toujours eu du mal à accepter ces "clivages" quand il s'agit d'art, de littérature, de création et, d'autant plus de francophonie. Il ne me viendrait pas l'idée saugrenue de dire que je lis un auteur romand en parlant de Jean-Jacques Rousseau ou de dire que je lis de la littérature valaisanne avec Georges Borgeaud, que j'ai découvert récemment et avec enthousiasme dans son Voyage à l'étranger. Ouvrage qui obtint le prix Renaudot, publié il y a quarante ans... mieux vaut tard que jamais! 

Quant à Paul Nizon (un de mes chouchous) écrivain suisse de langue allemande (livres traduits en français), il est à peine plus connu en France que Frisch ou Dürrenmatt... voire en Suisse : j'ai fait découvrir Paul Nizon à un ami suisse - pourtant féru de littérature - qui ne le connaissait pas! Il m'a remercié.

"Pourquoi il faut en finir avec la «littérature romande»

Sergio Belluz
Les politiques culturelles de la Suisse francophone devraient laisser tomber Ramuz et ce vieux concept de «littérature romande» et mettre davantage l’accent sur des auteurs suisses d’expression française, estime Sergio Belluz, auteur de «CH. La Suisse en kit (Suissidez-vous!)», Ed. Xenia, 2012 et de «Fables» (à paraître)

Au Centre de recherches sur les lettres romandes de l’Université de Lausanne, on est très vigilant quant à la certification romande – c’est-à-dire ramuzienne, c’est une AOC – de la littérature produite dans la région [...]
[...]
 Et quand il s’agit de culture romande, donc de Ramuz, on ne lésine ni au Centre de recherches sur les lettres romandes, qui, il y a peu, avait budgété une édition complète de Ramuz à hauteur de 4,2 millions de francs, ni au Grand Conseil vaudois qui n’avait pas hésité à accorder 1 155 000 francs pour une publication en Pléiade, dans l’illusion d’une consécration suprême de la littérature romande.

On aurait tout aussi bien pu refiler l’argent directement à la Fondation Ramuz dont les présidents successifs dirigent aussi le Centre de recherches sur les lettres romandes, mais enfin le résultat est là: sur la page web de la Pléiade, en cherchant par nationalité d’auteur – pas d’entrée «Romandie» ni «Vaud (Pays de)» –, on tombe sur LA page suisse et ses quatre volumes: le Jaccottet (février 2014) et les trois volumes de romans de Ramuz (2005), le reste a paru ailleurs, faute d’accord avec les héritiers. Keller? Frisch? Dürrenmatt? Inconnus au bataillon, aucun canton suisse allemand n’a jugé bon de miser des millions sur eux. Quant aux autres Suisses romands pléiadés (Rousseau, Constant, Mme de Staël…), ils y sont en se faisant habilement passer pour des Français.
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Les politiques culturelles des cantons francophones sont bloquées sur Ramuz, mort il y a près de septante ans, et sur ce concept de «littérature romande» né il y a plus d’un siècle pour se démarquer de la France et afficher une identité latine face à la Suisse allemande. On peut se poser la question: le moment ne serait-il pas venu d’enfin laisser tomber Ramuz et le Romandisme et de mettre l’accent sur la promotion des auteur(e)s suisses d’expression française? Parle-t-on de peinture romande pour Auberjonois? de cinéma romand pour Goretta? de musique romande pour Binet? Rousseau, Mme de Staël, Albert Cohen ou Nicolas Bouvier sont-ils des écrivains romands? C’est quoi, un écrivain romand?

Ce qualificatif de «romand» – le mot même est artificiel puisque, par parallélisme avec «suisse allemand», on avait rajouté un «d» final au terme «roman» utilisé dans une certaine terminologie historico-géographique jusqu’à la moitié du XIXe –, n’est-il pas devenu obsolète et stigmatisant? N’est-il pas confondu, hors de Suisse, avec un qualificatif régional de type «littérature provençale» qui range ses auteurs dans une catégorie terroir dont ils n’arrivent pas à se défaire? N’est-il pas une des raisons pour lesquelles la littérature suisse d’expression française a de la peine à s’exporter?
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Kafka est défini comme «auteur pragois de langue allemande», Julien Green comme «écrivain américain de langue française», Samuel Beckett comme «auteur irlandais d’expression française et anglaise». Dans un monde connecté où les frontières s’estompent, n’est-il pas contradictoire de se réclamer d’une identité qui ne se définit que par un espace géographique, et de se plaindre en parallèle d’une discrimination culturelle et exiger à grands cris une reconnaissance nationale et internationale? Et si on mettait tout l’argent sur la promotion énergique des auteur(e)s suisses d’expression allemande, française, italienne et romanche, c’est-à-dire de la littérature suisse tout court?

«Besoin de grandeur», écrivait Ramuz…"