jeudi 22 mai 2014

"Je t'aime parce que je ne sais pas tout de toi"



"Le scénario de La Captive, co-signé par Chantal Akerman et Eric de Kuyper, s'inspire de «La Prisonnière» de Proust. Cinquième volume de «La recherche du temps perdu», «La Prisonnière» se situe entre «Sodome et Gomorrhe» et «Albertine disparue»."

Chantal Akerman, réalisatrice :

« (…) chaque fois que je relisais un bout ou l'autre de «La recherche» et spécialement «La prisonnière», je me sentais dans un état d'intimité avec Marcel, je lui parlais, le tutoyais, l'appelais Mon Petit Marcel, comme j'aurais appelé un petit frère, c'était presque devenu quelqu'un de ma famille avec ses obsessions, ses lieux clos, ses reprises de même thèmes qu'il développait tant et si bien, qu'un jour, je n'ai plus pu résister.
[...] (…) j'ai regardé Vertigo (Sueurs froides) d'Alfred Hitchcock. C'est également une histoire d'obsession, d'envoûtement et de possession. Il y a constamment une tension où l'on sent qu'on va vers une fatalité, un peu aussi comme dans les tragédies grecques. » 
















Inspiré de La Prisonnière de Proust! Les premières quarante-cinq minutes m'ont terriblement ennuyée et j'ai arrêté là. Le lendemain soir, je me suis dit : va jusqu'au bout! J'ai donc repris le film, la dernière heure, trouvant quelques images esthétiques, le décor de la chambre proustien (si l'on occulte la télévision dans la chambre), la mise en scène réussie. Ça c'est pour le positif.  Difficile de transposer un morceau de l’œuvre de Proust à l'écran.
"Je t'aime parce que je ne sais pas tout de toi" réplique de Ariane (S. Testud) à Simon (S. Merhar) qui a un besoin obsessionnel de tout savoir d'elle. Le prisonnier c'est lui.
Les bonus du DVD avec des interviews de Chantal Akerman puis de Sylvie Testud ne m'ont pas aidée à remplir le vide que j'ai ressenti en regardant ce film. J'aime pourtant Sylvie Testud et Stanislas Merhar mais ils n'ont pas réussi à me captiver!

Serait-ce un film pour cinéphiles, pour intellectuels? C'est donc que je n'en suis pas (ou plus;-))

Rajout du 7 octobre 2015.

Chantal Akerman (1950-2015)  est morte il y a deux jours; elle s'est suicidée, elle avait 65 ans. Un âge fatidique pour les mélancoliques (dont je suis) qui s'interroge sur l'existence. J'y ai survécu... mais pour combien de temps encore? Peu.
Beaucoup d'éloges dans la presse sur cette femme cinéaste. Je vais donc essayer de trouver d'autres films, peut-être les verrais-je avec un autre regard? 1080, Bruxelles par exemple qui semble, d'après ce que j'en lis, proche de mes préoccupations : "C'est un film sur l'espace et le temps et sur la façon d'organiser sa vie pour n'avoir aucun temps libre, pour ne pas se laisser submerger par l'angoisse et l'obsession de la mort." On dit que c'est son chef-d’œuvre, un film de 1975.

"Dans Chantal Akerman autoportrait (Cahiers du cinéma, 2004), elle évoque ces phases d’«explosion, dans lesquels je ne suis jamais fatiguée, et je ne me couche jamais de bonne heure, d’ailleurs je ne me couche pas». Elle affirme écrire en quelques heures ou même secondes des textes et scénarios de films : «Je fais, fais, fais, jusqu’à ce que je m’écrase.» Elle parle aussi très librement du syndrome bipolaire qui l’affecte, lui fait alterner les moments d’exaltation et d’effondrement, [...]"

Antoine Compagnon, professeur au Collège de France, qui l’avait invitée en 2013 à faire une conférence sur Proust suite à La Captive (2000)- inspiré de la Prisonnière. :

«J’avais voulu l’inviter après La Captive (2000) car c’est un des films sur l’oeuvre de Proust qui me paraît réussi et intéressant. Il prend du temps, il concentre, il ne raconte pas Proust mais il est proustien, dans l’évocation des émotions, dans la temporalité. D’une manière générale ses films avaient quelque chose de proustien dans leur façon de prendre le temps, dans leur économie. Il y a beaucoup de paroles mais aussi beaucoup de silence dans Proust, et Chantal Akerman prenait dans ses films le temps du silence. J’avais invité d’autres non-spécialistes, un juriste, un mathématicien. Je me souviens qu’elle avait choqué un certain nombre de personnes en parlant immédiatement d’antisémitisme, de la Shoah, de sa famille pendant la guerre».

(Sources : Libération, le 6.10.2015)