jeudi 8 mai 2014

"Il y avait trop de merveilles sur terre : je refusais d'être banni du festin"

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En empruntant à la bibliothèque L'amour du prochain de Pascal Bruckner je m'attendais à un ouvrage de réflexion philosophique sur le sujet. Ah ah! Le fait que ce livre fût classé parmi les romans aurait dû m'alerter et, de plus, c'était écrit sur la page de couverture. Point de philosophie altruiste dans ce roman que je n'ai pas pu prendre au sérieux pendant une seconde, il l'est pourtant si j'en crois quelques critiques ou interviews de l'auteur. Et si je suis allée jusqu'au bout (en peinant un peu), ce fut par curiosité de découvrir, peut-être, une fin rédemptrice? Je ne le dirai pas! Si le mysticisme ici se passe en dessous de la ceinture, l'écriture se maintient à un niveau très convenable, d'où ma ténacité jusqu'à la dernière page. Non mais!  J'entendais la voix posée, plutôt douce, de Pascal Bruckner en lisant certaines phrases libertines (le mot est faible) et j'avoue que quelques éclats de rire m'ont souvent secouée. Cependant, je n'ai pas été convaincue par la "dimension mystique, quasi biblique" dont parle l'auteur et si ses "héros sont des martyrs", ce sont des martyrs consentants (oxymore ou lapalissade? je m'interroge). Pascal Bruckner n'a jamais craint d'aborder des thèmes subversifs : Lunes de fiel, Les voleurs de beauté. A vrai dire, celui que je cherchais à la bibliothèque et qui était déjà emprunté c'était celui-ci :  Un bon fils.
Pascal Bruckner : un écrivain romancier, essayiste et pour moi, insaisissable, étrange. Sybillin?

"Sa thèse de 3e cycle, consacrée à l'émancipation sexuelle dans la pensée du socialiste utopiste Charles Fourier (« Le corps de chacun est accessible à tous »), a été dirigée par Julia Kristeva (et soutenue en 1975 à l'Université Paris VII). Il est à cette époque proche des mouvements trotskistes et maoïstes, mais selon ses dires, non militant. Pascal Bruckner s’illustre d’abord, au milieu des années 1970, aux côtés des « nouveaux philosophes ».
[...]
"En novembre 2013, Pascal Bruckner signe le « Manifeste des 343 salauds » publié par la revue Causeur, qui défend les hommes faisant appel aux services de prostituées."
Source Wikipédia.

Vous écrivez : "Jésus s’est trompé. Au lieu de monter sur une croix, ensanglanté, il aurait dû s’allonger sur un lit, devenir une fille publique…" Vous ne craignez pas de choquer, de blesser ?
 
Le sexe excède toute forme de morale, conjugale ou sociale. Il est porteur d’une dimension religieuse ou spirituelle. On peut, dès lors, en faire l’expression d’une démarche fraternelle ou solidaire. Si j’aime mon prochain, je l’aime jusque-là. On soulage les malades, les souffrants, les miséreux en les soignant, en les nourrissant. Jamais en leur donnant du plaisir sexuel. Cela va faire hurler les religieux, mais mes héros sont des martyrs. Ils deviennent prêts à tout pour satisfaire celles et ceux qui leur demandent. Le sexe possède pour eux une dimension mystique, quasi biblique.
Le mysticisme lui-même est à la limite de l’érotisme. D’ailleurs, l’Église catholique a toujours admis avec beaucoup de réticence les vrais mystiques, ceux qui vivaient une passion physique pour Dieu, comme saint Jean de la Croix. Dans certaines religions, l’hindouisme, les cultes babyloniens, existaient des prostituées sacrées pour qui le sexe était un intermédiaire avec Dieu. Dans la Kabbale, il existe des textes magnifiques sur la dimension d’élévation des amants à un stade surhumain. Le sexe a partie liée avec la quête de l’immortalité. C’était sans doute plus facile autrefois lorsqu’il y avait des transgressions ; briser un tabou demandait une vraie volonté. Aujourd’hui, la sexualité est devenue tellement normative que même les médecins la recommandent ! Elle a acquis une dimension de respectabilité… C’est donc plus difficile de tutoyer le sacré !"

Le pitch comme dirait Ardisson qui, évidemment, ne pouvait passer à côté de la sortie du livre en 2005, sur un sujet un tantinet scabreux :

"Missionnaires du plaisir*
Sébastien a tout pour être heureux : jeune diplomate, heureusement marié, père de famille entouré d’amis fidèles… Jusqu’au jour où il se fait draguer par une femme qui lui propose de coucher avec elle contre de l’argent. Il devient prostitué. Avec Dora, sa compagne, il va inventer une nouvelle religion, celle où l’amour du prochain consiste à donner du plaisir à ceux qui n’en ont pas. Un roman brut et dérangeant, à épargner aux âmes sensibles. En revanche, les amateurs de langue forte, d’univers onirique aux portes du baroque et d’irrévérence absolue, ne manqueront pas d’aimer."

L’Amour du prochain de Pascal Bruckner (Grasset, 2005).

* Dans l'ouvrage, le titre exact du chapitre 7 est :  Les missionnaires de la charité.

"Vous connaissez ce sentiment : se trouver dans une réunion, ressentir la tragique insuffisance des êtres y compris de soi-même et ne pouvoir l’exprimer. Les mots ne venaient pas. Tous les éloges reçus ce soir rejaillissaient sur moi comme autant d'insultes. Je n'étais pas celui qu'ils croyaient, je n'aimais plus celui qu'ils chérissaient."
L'Amour du prochain, page 44.