samedi 21 décembre 2013

La vie peut-être... l'un meurt et l'autre reste...

J'ai découvert dans ce blog rempli de pépites d'ombre, de soleil et de vie, ce poème...


Autre naissance

Tout mon être est un verset de l'obscurité
Qui en soi-même te répète
Et te mènera à l'aube des éclosions et des croissances éternelles
Je t'ai soupiré et soupiré
Dans ce verset je t'ai, à l'arbre, à l'eau et au feu, greffé.

La vie peut-être
Est une longue rue que chaque jour traverse une femme avec un panier
La vie peut-être
Est une corde avec laquelle un homme d'une branche se pend
La vie peut-être est un enfant qui revient de l'école
La vie peut-être c'est allumer une cigarette
dans la torpeur entre deux étreintes
Ou le regard distrait d'un passant
Qui soulève son chapeau
Et à un autre passant, avec un sourire inexpressif, dit : "Bonjour."
La vie peut-être est cet instant sans issue
Où mon regard dans la prunelle de tes yeux se ruine
Et il y a là une sensation
Qu'à ma compréhension de la lune et ma perception des ténèbres je mêlerai.

Dans une chambre à la mesure d'une solitude
Mon cœur
A la mesure d'un amour
Regarde
Les prétextes de son bonheur
Le beau déclin des fleurs dans le vase
La pousse que dans le jardin tu as plantée
Et le chant des canaris
Qui chantent à la mesure d'une fenêtre.

Ah...
C'est mon lot
C'est mon lot
Mon lot
C'est un ciel qu'un rideau me reprend
Mon lot c'est de descendre un escalier abandonné
Et de rejoindre une chose dans la pourriture et la mélancolie
Mon lot c'est une promenade nostalgique dans le jardin des souvenirs
Et de rendre l'âme dans la tristesse d'une voix qui me dit :

"Tes mains
Je les aime".

Mes mains je les planterai dans le jardin
Je reverdirai, je le sais, je le sais, je le sais
Et les hirondelles dans le creux de mes doigts couleur d'encre
Pondront.

A mes oreilles en guise de boucles
Je pendrai deux cerises pourpres et jumelles
Et à mes ongles je collerai des pétales de dahlia.

Il est une rue là-bas
Où des garçons qui étaient de moi amoureux, encore
Avec les mêmes cheveux en bataille, leurs cous graciles
et leurs jambes grêles,
Pensent aux sourires innocents d'une fillette qu'une nuit
le vent a emportée avec lui.
Il est une ruelle
Que mon cœur a volée aux quartiers de mon enfance.

Volume en voyage
Sur la ligne du temps
Volume qui engrosse la sèche ligne du temps
Volume d'une image vigile
Qui revient du festin d'un miroir
Et c'est ainsi
Que l'un meurt
Et que l'autre reste.

Au pauvre ruisseau qui coule dans un fossé
Nul pêcheur ne pêchera de perles.

Moi
Je connais une petite fée triste
Qui demeure dans un océan
Et joue son cœur dans un pipeau de bois
Doucement doucement
Une petite fée triste
Qui la nuit venue d'un baiser meurt
Et à l'aube d'un baiser renaît.


Forough Farrokhzâd (1934 - 1967)