Ils sont venus tous les deux hier soir me souhaiter mon anniversaire avec quelques jours d'avance et illuminer mon salon de leur présence. Ce n'était pas une dizaine que nous fêtions et ce beau bouquet était inattendu. Aussi inattendue que cette carte postale arrivée la veille, elle aussi avec quelques jours d'avance et qui a fait boum (auraient-ils tous peur que je n'arrivasse pas jusqu'à la date? Tsss!). Leur impatience me réchauffe le coeur. Reçu aussi une lettre, non un courriel mais qui pour moi avait la saveur d'une lettre, d'un jeune et cher ami. Et pourtant, pourtant... je m'interroge chaque jour davantage sur... ce désir de vivre qui m'abandonne parfois. Chaque jour, se motiver, chaque jour occulter ses douleurs, chaque jour défier le miroir, chaque jour se raccrocher à quelque chose de beau et cela ne manque pas (en faisant un effort). Alors pourquoi tant de questions?
Qu'est-ce qui a marqué cette semaine passée?
. La pluie et le vent : lundi, mardi, mercredi.
. Mercredi soir au théâtre : Le Banquet ou l'éloge de l'amour d'après Platon.
C'est le récit d'une célèbre soirée qui a lieu chez le bel Agathon. Pris par le délire de la philosophie, l'hôte et ses invités décident de rendre hommage à Éros : chacun prononce un éloge de l'amour. Ils s'allongent sur des lits, boivent et parlent avec la plus grande liberté de l'amour et de la beauté. C'est alors qu'Alcibiade, ivre et épris de Socrate, vient troubler la soirée...
Je savais le penchant de Socrate pour la beauté des jeunes garçons mais je ne m'attendais pas à voir Agathon dans son entière nudité sur scène. J'avais bien fait de venir [rires], le jeune homme était fort beau! l'interprétation du texte (respecté) excellente. Bonne soirée donc. J'ai entendu en sortant deux messieurs en parler et l'un dire à l'autre : "j'ai été déçu" et l'autre de répondre : "ouais, à voir au second degré".
Pour ma part j'ai seulement envie d'occulter les quatre premières minutes et les quatre dernières où la mise en scène pour le coup était assez risible : les deux adonis (Agathon et Alcibiade) enlacés torse nu dansant un slow, Phèdre et Pausanias de l'autre côté s'envoyant en l'air; le comique Aristophane esseulé, le tout sur une musique de discothèque! Laissant Socrate à sa réflexion contemplative. Ce sont les seules minutes étranges avec cette musique incongrue. Le spectacle dure deux heures, donc oublions ces minutes-là.
. Jeudi : golf parce qu'il faut bouger. Et là c'était plutôt : comment tenir sur mes jambes pendant le swing avec un vent déco...rnant! Épuisant.
. Vendredi : épreuve de l'attente d'un bus trente minutes quand on sort de chez l'ophtalmo - où on a passé son après-midi -, qu'on ne voit plus clair, qu'il pleut des cordes et qu'à 17 heures trente impossible de trouver un taxi!
. Samedi, hier (voir au début).
Après la soirée où je ne sentais pas vraiment le poids d'une année supplémentaire - je n'ai plus besoin d'attendre les dates pour me sentir des semelles de plomb -, après les bulles de champagne, Virginia Woolf ne pouvait pas me faire de mal :
Dimanche 29 décembre 1940
Il y a des moments où les voiles tombent. Alors, étant grand amateur d’art de vivre et bien résolue à extraire tout le jus de mon orange, hop ! je m’envole, telle une guêpe, si la fleur sur laquelle je suis posée se fane ; ce qui s’est produit hier. Je suis allée à vélo à travers les collines jusqu’aux falaises. Des rouleaux de fils barbelés courent tout le long. Après cette bonne friction, mon esprit a retrouvé sa vigueur sur la route de Newhaven. De vieilles demoiselles chichement vêtues faisaient leurs achats d’épicerie sur cette route déserte bordée de petites maisons, sous la pluie. Newhaven est mutilé. Mais fatiguez le corps, et aussitôt l’esprit se met en sommeil. Tout mon désir d’écrire ce journal est retombé. Quel est le bon antidote ? Il me faut aller fureter çà et là. Je songe à Mme de Sévigné. Faire en sorte qu’écrire soit un plaisir quotidien. Chesterton reste muet. Leslie fait entendre sa voix. Avons eu les Anrep à déjeuner. Je déteste l’âpreté de la vieillesse ; que je sens en moi. Je grince. Je suis aigre.
Le pied moins prompt à fouler la rosée du matin,
Le cœur moins sensible aux émotions nouvelles,
Et l’espoir, un soir piétiné, moins vite ne renaît.
Je viens en fait, d’ouvrir Matthew Arnold d’où j’ai recopié ces vers [tirés de « Thyrsis »]. Ce faisant, il m'est apparu que si j'aime ou si je déteste tant de choses aujourd'hui d'une façon fantaisiste, cela tient au fait que je me sens de plus en plus détachée de la hiérarchie, du patriarcat. Lorsque Desmond fait l'éloge d'East Coker et que je suis jalouse, je vais me promener dans le marais en me disant : moi, c'est moi, et je dois suivre ce sillon sans en copier un autre. Voilà quelle est l'unique justification de mon travail et de ma vie.
Comme nous apprécierons tout ce que nous mangeons maintenant! Je compose dans ma tête des menus imaginaires.
Virginia Woolf, in Journal intégral 1915-1941.
Ben voilà! J'ai écrit; il reste encore du jus dans le citron. Hum!