Voyager, basculer…
par Françoise Cloarec
Il semblerait que nous ayons besoin d’aller voir ailleurs…
Qu’est-ce qui pousse à partir ?
D’où vient cette idée de partir de chez soi ?
Après tout, le monde vient à nous tous les jours, par la télévision, les magazines, les journaux. Et puis, ce n’est pas si simple de se déplacer. Voyager nécessite d’avoir à sa disposition un certain nombre de mécanismes de défense. Et il est préférable d’être prêt à supporter le nouveau, l’imprévu. Il vaut mieux être psychiquement armé pour ne pas se laisser déborder par des chocs émotionnels. Paradoxalement, le voyage renvoie, celui qui part en dehors des sentiers habituellement battus, de façon aiguë, à son histoire personnelle…
Est-ce que nous avons envie de ce qui est proposé dans les brochures de voyage, dans les guides ou d’autre chose ?
Heureusement, ou malheureusement, la plupart du temps, le regard est balisé. Avant, pendant, après le périple touristique, des gardes fous sont installés. Dans les musées, les sites, les galeries, le visiteur trouve des explications, des fléchages, des mises en garde. On lui explique ce qu’il va voir, ce qu’il voit. Quelquefois on lui dit où et quand il doit prendre une photo. En voyage, les agences touristiques, les syndicats d’initiatives, les guides vous préparent. Vous n’avez plus qu’à aller sur place, pour vérifier que les paysages, les ruines, les oeuvres d’art, les musées dont on vous a parlé sont bien là où ils sont censés être.
C’est fragile un touriste, il est loin de chez lui, il n’a plus ses repères habituels, ni ses parents, ni ses amis, ni sa maison… C’est même souvent pour s’éloigner de tout ça qu’il est parti… Mais, ce qui fait sa fragilité se trouve mis en avant, ses mécanismes de défenses vont fonctionner autrement, peut-être même plus du tout. Il est dans l’ambivalence, à la fois en quête d’étrange, de nouveauté, mais aussi accroché à lui-même sans ses protections habituelles. Une rencontre trop forte, inattendue, peut le submerger et lui poser une question trop forte, plus forte que n’importe quelle réponse, réponse qui serait de toute façon, à jamais défaillante.
Il arrive que voyage et pathologie se rencontrent, se frôlent. La beauté, l’art, une ambiance forte et particulière peuvent susciter des troubles plus ou moins importants.
Bien sûr il y a des lieux plus propices que d’autres aux émotions fortes. Les médias parlent régulièrement de Florence, de Jérusalem, de l’Inde.
Stendhal a eu le génie littéraire de décrire, de comprendre le mécanisme du trouble en voyage devant la beauté. Peut-être que l'expérience décrite dans ses journaux de voyage ne lui est jamais arrivée. Peu importe. Ce qu’il nous livre a donné son nom à un ensemble de manifestations pathologiques retrouvées chez de nombreux patients hospitalisés aux urgences psychiatriques de l’hôpital Santa Maria Nuova à Florence...
Syndrome de Stendhal. C’est sous ce nom que Graziella Magherini, psychiatre à Florence, a réuni les diverses formes que peut prendre ce syndrome: déséquilibre momentané, crises d’angoisses, intenses dérangements somatiques, actes étranges, sensations de dépersonnalisation, idées interprétatives sur la réalité pouvant aller jusqu’à des bouffées délirantes aiguës.
Ce qui rapproche ces touristes qui se retrouvent aux urgences psychiatriques, c’est que les symptômes arrivent tous lors d’une confrontation directe avec une œuvre d’art, une ambiance, qui amplifie la perception esthétique.
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Stendhal, pour sortir de son trouble, avait besoin, nous explique t-il de la voix d’un ami partageant son émotion.
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Faut-il se méfier du regard?
Ailleurs, loin de chez soi, les choses que l’on remarque, celles qui font de l’effet, sont peut-être bien celles que l’on a déjà dans la tête. Elles sont là d’une autre façon, mais déjà là.
L’étrange, c’est de rencontrer au-dehors cet intime que l’on détient à l’intérieur. Surtout, si on ne peut pas le nommer.
Qu’est-ce que cela représente de quitter son univers quotidien, devenir étranger à sa langue et devenir celui, ou celle, qui voit? Pourquoi est-ce qu’il arrive que l’on bascule dans ce que l’on voit? Que se passe-t-il au moment où le regard sur l’esthétique finit d’être un plaisir ?
Il est clair qu’en voyage nous entretenons d’autres rapports avec nous-mêmes, avec nos sens. Dans un pays étranger, étrange peut-être, où l’on ne comprend ni la langue, ni parfois l’écriture, les odeurs, les couleurs, l’imaginaire prennent une autre intensité. Sous des chocs émotionnels dus à des perceptions nouvelles resurgissent d’anciennes émotions.
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© Françoise CLOAREC 2006
Françoise Cloarec est écrivain et psychanalyste. Docteur en psychopathologie, diplômée de l'École des Beaux Arts de Paris, elle est l'auteur de plusieurs livres parus aux éditions L'Harmattan.
«J’aime les beaux paysages. Ils font quelquefois sur mon âme le même effet qu’un archer bien manié sur un violon sonore; ils augmentent ma joie et rendent le bonheur plus supportable.»
«Comme de vrais philosophes, chaque jour nous ferons ce qui nous semblera le plus agréable ce jour-là.»
«Ce que j'aime dans les voyages, c'est l'étonnement du retour.»
J’essaie de me conforter – pour mon futur voyage – avec ces trois citations de Stendhal.
Voilà, je crois avoir reproduit mon billet disparu, sans les photos du jour… Et, comme c’est étrange ce que je ressens ce soir en refaisant ce billet et, très précisément en écrivant la dernière phrase « J’essaie de me conforter… » ; je ne sens pas la même intensité qu’hier lorsque je l’ai écrite. Hier, j’étais imprégnée de ce texte que je venais de lire mais aussi de ce voyage que j’allais faire bientôt et que j’avais commencé dans ma tête. Je ressentais de l’inquiétude, voire de l’angoisse. Et ce verbe de « me conforter » prenait « chair » dans mon coeur battant. Je cherchais un apaisement.
Refaire un texte, tenter de le réécrire, de le recopier, ce n’est plus du tout la même chose que de le faire dans un premier jet, avec toute l’émotion que l’on porte en soi au moment où les mots surgissent. Tout ce que j’ai écrit ici jusqu’à ce jour a toujours été fait dans un élan de spontanéité, sans prendre de recul et souvent sans brouillon. D’où certainement, beaucoup de maladresses, d’illogismes et trop de… sincérité.