jeudi 1 octobre 2015

La Femme, les femmes, la féminité


Romain Gary et sa mère
(Source inconnue)


Romain Gary et son épouse Lesley Blanch à Sofia en 1946
(Source photo : coll. part. Pierre Assouline
Crédit photo : D.R.) 


Romain Gary et sa seconde épouse Jean Seberg
à Paris en 1974
(Photo : Michel Giniès)


" Je vous ai dit au début de cet entretien que l'on vit moins une vie que l'on est vécu par elle. J'ai l'impression d'avoir été vécu par ma vie, d'avoir été objet d'une vie plutôt que de l'avoir choisie et en plus de cela, avec la notoriété on est donc manipulé par la vie elle-même. Avec la notoriété vient un phénomène curieux qui est celui d'une image qui, - grâce aux médias et par l'intermédiaire de vos caméras, comme je suis en train de le faire ici, - s'établit dans le public et a fort peu de rapport avec la réalité de l'homme. Je m'aperçois tous les jours, dans tout ce que l'on écrit sur moi, que je ne me reconnais absolument pas dans cette image de marque que je traîne. Il y a une profonde différence de toute façon entre ce qu'écrit un auteur et lui-même. Un auteur met le meilleur de lui-même, de son imagination, dans le livre et garde le reste...., "le misérable petit tas de secrets" comme disait Malraux, pour lui-même. [...]
[...]
La seule chose qui m'intéresse, c'est la femme, je ne dis pas les femmes, attention, je dis la femme, la féminité. Le grand motif, la grande joie de ma vie a été l'amour rendu pour les femmes et pour la femme. Je fus le contraire du séducteur malgré tout ce que l'on a bien voulu raconter sur ce sujet. C'est une image totalement bidon et je dirais même que je suis organiquement et psychologiquement incapable de séduire une femme. Cela ne se passe pas comme ça, c'est un échange, ce n'est pas une prise de possession par je ne sais quel numéro artistique de je ne sais quel ordre, et ce qui m'a inspiré donc dans tous les livres, dans tout ce que j'ai écrit à partir de l'image de ma mère, c'est la féminité, la passion que j'ai pour la féminité. [...]

[...] Je ne connais pas d'autres valeurs personnelles, en tant que philosophie d'existence, que le couple. Je reconnais avoir raté ma vie sur ce point, mais si un homme rate sa vie, cela ne veut rien dire contre la valeur pour laquelle il a essayé de vivre.

Je trouve que [c'est] ce que j'ai fait de plus valable dans ma vie, c'est d'introduire dans tous mes livres, dans tout ce que j'ai écrit, cette passion de la féminité soit dans son incarnation charnelle et affective de la femme, soit dans son incarnation philosophique de l'éloge et de la défense de la faiblesse, car les droits de l'homme ce n'est pas autre chose que la défense du droit à la faiblesse. Et si on me demande de dire quel a été le sens de ma vie, je répondrai toujours - et c'est encore vraiment bizarre pour un homme qui n'a jamais mis les pieds dans une église autrement que dans un but artistique - que cela a été la parole du Christ dans ce qu'elle a de féminin, dans ce qu'elle constitue pour moi l'incarnation même de la féminité. [...]

Pour le reste, que voulez-vous que je vous dise? [...] ... je ne voudrais simplement pas qu'il y ait plus tard, quand on parlera de Romain Gary, une autre valeur que celle de la féminité."

Romain Gary, in Le sens de ma vie, entretien, éditions Gallimard, 2014.

Préface de Roger Grenier

"Je ne pense plus avoir assez de vie devant moi pour écrire une autre autobiographie." Ces paroles, dans cet entretien accordé par Romain Gary à Radio-Canada, serrent le cœur. Peu de mois après l'enregistrement, il mettait fin à ses jours, le 2 décembre 1980.
Si l'on retrouve, dans la présente transcription de cet entretien, bien des confidences, des anecdotes, des opinions déjà lues dans La promesse de l'aube et La nuit sera calme, il faut le considérer comme le dernier état de son autobiographie, ou tout au moins de ce qu'il a bien voulu dévoiler de l'ambition, des espoirs, des succès et des humiliations qui ont fait sa vie. [...]."